Annette Cabelli
« Volonté »
Le chiffre 40637 et le triangle, figurant sur son bras, se trouvent au centre de l’œuvre, enfermés dans plusieurs carrés successifs.
Le blanc entoure le chiffre, comme la neige qui tombait sur Birkenau.
« Volonté », est le mot que Annette Cabelli a souhaité faire apparaitre sur l’œuvre.
120 x 90
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz
120 x 90
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz
ANNETTE CABELLI Présentation
Née à Salonique (Grèce) le 25 Avril 1925
Arrêtée à Salonique par les Allemands le 2 mars 1943, déportée à Auschwitz. Elle a fait la marche de la mort.
Libérée à Essen par les Russes le 2 mai 1945.
Elle porte sur le bras gauche à l’intérieur le numéro 40637
Quand vous êtes-vous sentie libre ?
Nous avons été libérés par les Russes le 2 mai 1945. Je suis restée prisonnière deux ans et deux mois. Je ne crois pas aux miracles, mais à la destinée. Je vis au jour le jour. Je n’ai jamais été libre.
Ma famille est arrivée à Salonique à la suite de l’expulsion des Espagnols en 1492.
Nous faisions partie de la colonie juive de Salonique et mes parents étaient assez aisés jusqu‘au moment où mon père est décédé alors que j’avais 4 ans. La situation a alors changé et ma mère, a dû élever seule ses trois enfants. Le seul souvenir que j’ai de mon père : j’avais 4 ans et les médecins l’avaient laissé revenir chez nous pour mourir. Il était faible et blanc comme un linge.
Ma mère a fabriqué des pantalons pour hommes puis a été une « mère » pour les enfants d’une famille de la haute bourgeoisie grecque…
Quand nous avons été arrêtés, Maman avait 41 ans et mes deux frères 19 ans et 21 ans. Je suis arrivée à Birkenau à Auschwitz, accompagnée de mon frère aîné Albert et ma mère, le 2 mars 1943, j’avais à peine 17 ans. Nous sommes sortis du wagon, affolés comme du bétail. Des gens en costumes rayés nous ont fait descendre ils se taisaient. J’ai tout de suite perdu mon frère et ma mère que je n’ai jamais revue. Concernant mon frère Dino, je sais qu’il travaillait sur un chantier allemand avant notre départ. Je ne sais pas , non plus ce qu’il est devenu.
En sortant du wagon, dans la nuit, ma cousine Laura m’a appelée, nous étions du même âge, les SS nous ont mises de côté. C’est à ce moment là que je suis passée vers la vie et non vers la mort comme la plupart des nôtres. J’ai été sauvée par ma cousine en quelque sorte. Le médecin du camp, le docteur Rode, nous a protégées toutes les deux pendant un an. Il nous a mises en quarantaine. Il y avait deux camps : un camp de travail et un camp des hôpitaux. Durant un an j’ai travaillé dans un hôpital réservé aux Polonais. Toute la journée je devais récupérer les excréments et les déverser à 500 m de là. C’est à cette époque que j’ai attrapé le typhus.
Un jour j’ai rencontré mon oncle qui travaillait dans les terrassements et c’est ainsi que j’ai pu reprendre contact avec mon frère Albert. Lui, il était apparemment à l’abri mais j’ai su qu’il se trouvait dans le pavillon des « expériences». Je me suis arrangée pour le faire affecter à l’usine « UNION ». Il a pu ainsi échapper à la mort mais il n’est pas sorti indemne.
Puis le médecin a été remplacé et j’ai dû quitter l’hôpital. Son remplaçant m’a placée alors dans un camp de travail mais j’ai rapidement travaillé moi aussi à l’usine « UNION ».
Les prisonniers qui étaient affectés au « commando Canada » étaient chargés de trier les biens, de toutes sortes, arrachés aux victimes. Il y avait beaucoup de trafic. J’ai pu faire passer à mon frère une veste dont les boutons étaient des pièces d’or. Ainsi il a pu survivre en échangeant ces pièces contre de la nourriture. Je pouvais le voir tous les jours puisque nous travaillions au même endroit.
La marche de la mort
Le 18 janvier 1945 nous sommes partis pour la marche de la mort : une semaine de marche pour commencer, ce fut horrible. !. Puis nous avons pris le train ; il ne fallait surtout pas s’asseoir si on s’asseyait on mourait étouffé par les autres qui s’asseyaient sur vous. On mangeait de la neige. J’entends encore les gens crier… Nous sommes allés jusqu’au camp de Ravensbrück.
La libération
On a été libéré par les Russes pas loin de Essen vers Ravensbrück. On était un groupe de 5 – 6 femmes. Nous sommes arrivées dans une ferme. Il y avait du lard, j’ai été prudente, j’ai peu mangé. Certaines sont mortes d’indigestion. Cette ferme regorgeait de nourriture. J’ai pu enfin manger. Je pesais 40 kg !
Il y avait des soldats partout, on a été protégé par un officier russe qui parlait yddish. Il a mis un planton devant la porte pour nous garder à l’abri des hommes.
Nous voulions aller du côté américain. Nous sommes restées 15 jours avec les Russes et nous avons trouvé deux Français, un vieux cheval et une traction avant. On a attelé le cheval à la traction et nous avons suivi une autoroute déserte jusqu’au camp des Américains. A ce moment, nous étions 5 femmes et 2 hommes et nous avons été recueillis par les soldats américains. C’est là que j’ai vu un noir pour la première fois, il nous a invitées à danser…
Je ne voulais pas retourner à Salonique car j’avais souffert de l’antisémitisme des grecs. Je parlais français, je voulais aller en France.
Mais là est arrivé mon futur mari. Il avait été au camp de Mauthausen c’était un ami de mon frère. Ils s’étaient rencontrés aux cours du soir à Salonique où tous les deux étudiaient la mécanique. Il s’appelait Harry.
Qu‘avez-vous fait la première année ?
Nous sommes arrivés à Paris et nous avons été à l’hôtel Lutétia. Harry n’a pas voulu aller en Israël avec moi où se trouvait ma famille proche depuis 1933 . Il m’a menacée de se suicider si je ne restais pas avec lui. J’étais terrorisée par lui.
J’ai été malade à cause de la nourriture. Mineure, je ne pouvais pas me marier sans l’autorisation du Préfet, ce qui fut fait le 20 mai 1946, j’étais enceinte de mon premier enfant…
Nous avons vécu tous les deux dans une petite chambre sans eau ni gaz ni électricité rue Pétillon à Paris, puis dans une autre chambre rue Popincourt. Mon mari a tout de suite travaillé comme mécanicien dans les machines à écrire. J’avais 20 ans. J’ai commencé à coudre à la maison, je faisais des boutonnières.
Nous vivions dans le 11ème arrondissement, je pensais que la communauté me soutiendrait mais nous n’étions pas à Salonique ! J’ai été très déçue :
« Chacun pour soi et Dieu pour tous. » C’était leur devise.
La France m’a accueillie, c’est ma patrie contrairement à la Grèce qui reste pour moi un pays antisémite.
Avez-vous souffert dans cette nouvelle vie ?
J’étais dépressive. Je ne faisais que pleurer. J’étais enceinte, dans une chambre sans eau ni électricité et mon mari allait voir d’autres femmes.
Je n’ai jamais été heureuse car mon mari me battait. Il battait nos enfants Il était malade des nerfs, je ne pouvais pas partir je n’avais pas de métier et il aurait pu me tuer. J’ai vécu 50 ans avec lui et nous avons eu trois enfants. Deux filles et un garçon. Je ne l’ai jamais aimé.
Mon garçon, le dernier enfant, était mon rayon de soleil mais à 10 ans il a eu un accident de vélo et a développé une tumeur au cerveau .Il est mort.
Ma fille ainée m’a toujours reproché de lui avoir donné la vie.
Je n’ai jamais eu un moment de bonheur, je me demande pourquoi je suis restée en vie ?
Jamais je n’ai été libre. Je n’ai rien eu dans ma vie.
Mais vos petits enfants ?
Les petits enfants sont des moments de bonheur. C’est le sourire de ma vie. J’ai 3 petits enfants et 2 arrières petits enfants.
Ma fille aînée a souffert de notre mariage. Elle m’en veut. Elle est journaliste, licenciée en droit. Elle a eu un garçon, Jérémie qui a 35 ans, il est froid. Marié, il est papa de deux enfants.
Ma cadette a un garçon Julien et une fille Clémence de trente ans qui vit à Paris.
J’ai vendu ma grande maison de banlieue que nous avions acheté à la sueur de nos fronts mon mari et moi. Mes enfants ont hérité de leur part. Je vis ici maintenant.
Avez-vous un mot une phrase, un chiffre qui vous ait marqué ?
Oui la volonté.
Comment considérez- vous votre vie maintenant ?
Je vis toujours dans le camp…
Mon numéro sur le bras gauche est le 40637. Je n’ai jamais rien eu !
J’ai travaillé toute ma vie quelquefois 20 heures par jour, jour et nuit. Dix ans de travail dans la confection en tant que sous-traitant. Et je n’aimais pas la couture !
Nous avons souvent été exploités. Le pavillon dans lequel j’ai vécu représente le fruit de notre travail.
Maintenant, j’ai des problèmes d’intestin et de santé en général.
J’ai fait partie d’associations à Paris où je retrouvais mes amies du camp où on m’appelait Jeannette.
Ici les associations de sépharades où je vais ne comprennent pas ce que j’ai vécu. Les membres se plaignent d’avoir tout perdu en Algérie mais ce n’est que du matériel ! Nous, nous avons perdu toute notre famille…
Conclusion
L’émotion étant très forte, Madame Cabelli ne peut pas suivre une pensée totalement construite. Elle est dépressive. Les souvenirs viennent lui faire perdre le fil de sa pensée bien souvent. On la sent seule avec ses cauchemars et pourtant elle affiche un sourire de douceur et de gentillesse.
Commentaires
Cet entretien a été particulièrement difficile en raison de la souffrance exprimée par Madame Cabelli.
Commentaires de l’Artiste sur le tableau
Le chiffre 40637 et le triangle, figurant sur son bras, se trouvent au centre de l’œuvre, enfermés dans plusieurs carrés successifs.
Le triangle est un dessin supplémentaire qui apparaît à un certain moment sur les bras des hommes et des femmes incarcérés à Auschwitz et Birkenau. Il s’agit d’un signe de reconnaissance interne à l’administration allemande.
Le blanc entoure le chiffre, comme la neige qui tombait sur Birkenau.
« Volonté », est le mot qu’elle a souhaité faire apparaitre sur l’œuvre.
Madame Cabelli a pu voir le tableau en janvier 2011, lorsque je me suis rendu à Nice avec mon ami Bernard Heijblum pour le lui montrer.
Elle était à la fois émue, étonnée et fière.
Avec Madame Cabelli le jour où elle a pu voir son tableau à Nice, chez elle.
Rencontre au centre Elie Weisel de Nice en février 2014