Bracha Karvasser

2012 - 09 - 01 - Alain Husson-Dumoutier - IMG_2490« Incendie de Varsovie »

 

Ayant assistĂ© Ă  l’incendie de Varsovie, de l’autre cĂŽtĂ© du mur qui avait Ă©tĂ© dressĂ© par les Allemands, Bracha a pu voir un jour un ss jeter une enfant dans le brasier sous les yeux hallucinĂ©s de sa mĂšre. Il y a d’ailleurs prĂ©cipitĂ© la mĂšre ensuite.

Le tableau retrace l’incendie de Varsovie, dans ses jours les plus durs et les plus violents.

Je me suis interdit de reproduire en dĂ©tail l’horreur de la scĂšne Ă  laquelle a assistĂ© Bracha, mais les ombres permettent d’évoquer les Ă©vĂ©nements. Il fallait mettre en valeur la puissance de la couleur rouge, car si elle est la couleur de l’incendie, elle est aussi celle du sang et de la vie.

120x90cm

Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre d’Auschwitz

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Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre d’Auschwitz

Capture d’écran 2015-07-14 Ă  19.32.15BRACHA KARVASSER PrĂ©sentation

 

NĂ©e le 12 septembre 1925 Ă  Berwinous (Pologne)

ArrĂȘtĂ©e par les Allemands Ă  Varsovie, elle  n’est pas considĂ©rĂ©e comme juive, grĂące Ă  ses yeux verts. Toute sa famille a Ă©tĂ© exterminĂ©e Ă  Auschwitz.

A l’arrivĂ©e des Russes le 15 janvier 1945 Ă  Varsovie, elle est sauvĂ©e de la mort par un juif russe.

Arrivée en Israël le 9 février 1951,Bracha  vit   actuellement à Haïfa.

 

Quand vous ĂȘtes vous sentie libre ?

Une minute avant la mort.

Cela veut-il dire que vous n’ĂȘtes pas encore libre mĂ©taphysiquement, mais sur le plan pratique ? Humain ?

Alors je dois dire que je me suis sentie libre quand je suis sortie du ghetto de Varsovie, le 17 avril.1943. Le ghetto a commencĂ© Ă  brĂ»ler le 19 avril, c’était la fin.

J’étais dans le ghetto avec mes grandes sƓurs, la premiĂšre Ă©tait plus ĂągĂ©e que moi de 6 ans, la seconde de plus de 4 ans. J’avais l’intention de revenir pour le 19 avril car c’était Pessah. Je viens d’une famille trĂšs religieuse. Mes parents Ă©taient partis pour Treblinka en 1942.

Quand j’ai voulu revenir le 19 avril, le ghetto Ă©tait un enfer. Je me suis dit que puisque nous Ă©tions dans un bunker depuis le 18 janvier, je ne mourrai pas Ă©touffĂ©e dans la terre, mais que les Allemands devraient dĂ©penser quelques balles pour me tuer.

Je suis alors allĂ©e voir un ami de mon pĂšre , Ludwig, qui m’a dit « Tu n’as rien Ă  perdre, je vais te prĂ©parer un document qui justifiera que tu n’es pas juive mais polonaise. »

Il a ouvert le journal et a vu qu’une famille allemande de Varsovie, cherchait une aide mĂ©nagĂšre et il a dit : « Vas-y ! On ne pourra pas imaginer que tu te mettras spontanĂ©ment dans la gueule du loup ».

J’ai tĂ©lĂ©phonĂ©, ils m’ont dit de venir, c’était le directeur des juges du Tribunal. Sa femme avait une cafĂ©tĂ©ria Ă  l’intĂ©rieur du Tribunal, en face du ghetto et un mur de 3 mĂštres de haut couvert de morceaux de verre nous sĂ©parait.

On voyait tout ce qui se passait dans le ghetto.

Je prĂ©parais les repas et le 19 avril, j’ai vu que tout flambait.

Capture d’écran 2015-07-14 Ă  19.32.30

le ghetto de Varsovie en flammes images d’archives

NDLR sa voix devient sourde, sa diction est coupĂ©e de silence, Madame Bracha Karvasser est saisie d’une grande Ă©motion.

« Pourquoi une mĂšre doit-elle subir la vision de sa fille brĂ»lĂ©e vive ?  J’ai vu le corps d’une jeune fille s’enflammer
 C’était insupportable. La mĂšre criait trĂšs fort et sa fille tentait de la raisonner en la prenant dans ses bras, c’est alors qu’un Allemand l’arracha et la jeta dans le brasier. J’entendrais toujours ses cris 
.

Puis les Allemands les ont tous tués et jetés dans les flammes.

Je suis lĂ  bas en face, juive et je vois tout et je suis comme une pierre et j’ai eu alors cette phrase en moi qui m’a fait tenir toute ma vie : je suis obligĂ©e de vivre pour pouvoir raconter, pour que le monde sache ce que j’ai vu. Et de fait, jusqu’à l’annĂ©e derniĂšre, j’ai accompagnĂ© des groupes de jeunes en Pologne mais Ă  prĂ©sent je suis fatiguĂ©e. »

Que ce passe t-il aprÚs ?

Je suis chez cet Allemand et un Polonais m’a repĂ©rĂ©e. Il m’a dĂ©noncĂ©e Ă  la Gestapo. On est en aoĂ»t 43. On m’a emmenĂ©e au deuxiĂšme Ă©tage de la salle 202 et un officier de la Gestapo m’a interrogĂ©e en allemand. Je fais semblant de ne pas comprendre. Un traducteur est arrivĂ©. Ils m’ont posĂ© toutes sortes de questions sur la religion chrĂ©tienne. Or, comme je n’étais pas allĂ©e Ă  l’école juive mais Ă  l’école locale et que j’avais des cours de catĂ©chisme deux fois par semaine et j’ai pu bien rĂ©pondre aux questions. Toutefois, je me suis trompĂ©e Ă  un moment donnĂ© , sur la priĂšre, au moment oĂč on reçoit la communion. Le Polonais l’a remarquĂ©, mais l’Allemand lui a demandĂ© de sortir.

Puis les questions sont venues :

OĂč sont tes documents ? Car j’avais des documents polonais au nom de Helena ZALECHINSKA. OĂč habites-tu ? OĂč travailles-tu ?

Je leur ai donnĂ© l’endroit oĂč je travaillais. Ils ont appelĂ© au tĂ©lĂ©phone et on a rĂ©pondu en allemand. Il a alors compris et il m’a dit

« Pourquoi n’as-tu pas dit tout de suite que tu travaillais chez des Allemands ? »

Et je suis retournĂ©e alors sur mon lieu de mon travail, nĂ©anmoins cet Ă©pisode a rĂ©ussi Ă  semer le doute dans l’esprit de ma maĂźtresse qui m’a dit :

« Tu as le nez un peu long »

Et j’ai rĂ©pondu : « Comme toi ».

La maĂźtresse a cependant remarquĂ© que j’allais tous les dimanches Ă  la messe, et comme j’étais importante pour eux, ils m’ont fait faire un papier rose disant que j’étais fondamentale pour le Reich.

Mais fin décembre 1943, une femme vient avec des bidons de lait à la maison et me reconnaßt. «  Ah tu es là ! » me dit-elle

J’ai compris alors que j’allais ĂȘtre repĂ©rĂ©e et Ludwig m’a dĂšs lors trouvĂ© un autre travail de l’autre cĂŽtĂ©, chez un couple avec un jeune enfant.

Je n’ai jamais Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e, mon ange gardien Ă©tait Ludwig.

Quel est le moment le plus important que vous ayez vécu dans votre existence ?

Le 1er août 1944.

La rĂ©volte polonaise Ă©clate Ă  Varsovie. AprĂšs deux mois de combats, le 1er octobre, les Russes se trouvent de l’autre cĂŽtĂ© de la riviĂšre. Toutes les personnes ĂągĂ©es sont envoyĂ©es dans le Sud de la Pologne et les jeunes ont Ă©tĂ© expĂ©diĂ©s en Allemagne prĂšs de Breslau dans des camps de travail forcĂ©.

Je me retrouve pour ma part à Brig en Allemagne dans un de ces camps de travaux forcés avec des ukrainiennes, on y travaillait à la maintenance de chemins de fer.

DĂšs que la rumeur de l’arrivĂ©e imminente des Russes se rĂ©pand, en fĂ©vrier 45, c’est la dĂ©bĂącle totale cĂŽté  allemand et nous en profitons alors pour fuir. Nous trouvons refuge dans des bains publics. La premiĂšre chose que veulent les Russes en arrivant c’est violer les filles !

J’avais du cyanure sur moi pour le cas oĂč j’aurais Ă©tĂ© prise.

Par ailleurs, jamais je n’ai Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme juive car j’avais les yeux verts


Un officier russe me prend, me dĂ©shabille de force, il me chope par derriĂšre et me traite d’espionne car dans la lutte, je fais tomber mon cyanure.

Je pleure toutes les larmes de mon corps et lui dis : « Je m’appelle Bracha et je suis juive ». Puis, il y a alors un grand silence, trĂšs Ă©tonnant.

Pourquoi ne me tue-t-il pas ?

Je lĂšve la tĂȘte et je le vois en train de pleurer comme un enfant et il me dit en yiddish : « Je suis un juif de Vilna ».

Je lui demande de me rendre l’ampoule de cyanure car je n’ai aucune envie de vivre, ni nulle part oĂč aller, je n’ai plus personne et veux seulement revoir tous mes morts.

Il me dit alors : « Tu n’as pas le droit de mourir, tu dois vivre ! ».

Il s’appelait Michka SLOMENSKI.

Je l’ai perdu de vue, je n’ai pas su pendant trĂšs longtemps ce qu’il Ă©tait devenu. Mais je l’ai cherchĂ©.

Ainsi, un jour, en 1997, j’ai passĂ© une annonce dans le journal pour le retrouver.

Peut-ĂȘtre avait-il fait son alya, ? Avait-il immigrĂ© en IsraĂ«l ?

Je reçois alors un appel tĂ©lĂ©phonique d’un homme qui me demande de lui dĂ©crire Michka. Je le lui dĂ©cris et il me dit : « C’était mon pĂšre ! Mais il est mort il y a un an  et est enterrĂ© en IsraĂ«l, Ă  Kyriat Motskin, prĂšs de HaĂŻfa. »

Nous sommes depuis devenus son fils et moi trĂšs proches jusqu’à prĂ©sent.

Quel est le mot, la phrase, la couleur, la musique, la personne qui vous a fait tenir durant toute votre vie ?

Toute ma vie, j’ai voulu ĂȘtre expert comptable et quand je suis venue en IsraĂ«l, j’ai suivi des Ă©tudes dans ce sens et suis donc devenue expert comptable diplĂŽmĂ©e.

Comment  considĂ©rez-vous votre vie aujourd’hui avec le recul ?

Je n’y changerai rien. J’ai deux enfants, six petits enfants et six arriùre-petits enfants.

Quelle est votre position vis à vis de la religion juive puisque vous aviez des parents trÚs religieux ?

Je garde la tradition. Mon mari savait qu’il y avait des chandeliers de shabbat dans la maison de famille enterrĂ©s quelques part mais on ne savait pas oĂč.

Et Ă  la Toussaint en novembre, nous les avons cherchĂ©s, nous les avons trouvĂ©s et il les a dĂ©terrĂ©s. Il y avait d’ailleurs aussi des piĂšces d’or et des couverts de Pessah.

Depuis, tous les vendredis, j’allume les bougies de shabbat et dans mon testament je les transmettrai à ma fille qui les transmettra à la sienne.

Capture d’écran 2015-07-14 Ă  19.32.48

 à l’entrĂ©e du Kibbouz  Beit Lohamei Haghetaot au nord d’IsraĂ«l

Alors quelle ‘est votre position par rapport à Dieu ?

Je suis fataliste. Je crois au destin, Ă  la destinĂ©e des hommes, de l’Homme.

Les individus naissent prĂ©destinĂ©s. Je n’ai pas peur de la mort.

La mort, ce n’est pas grave. A la fin, on ne souffre plus.

Quand ĂȘtes-vous arrivĂ©e en IsraĂ«l ?

Le 9 février 1951 avec mon mari et notre enfant de 4 ans.

Nous Ă©tions restĂ©s en Pologne. Notre fille d’ailleurs est nĂ©e de deux rescapĂ©s de la Shoah, elle pesait 1,5 kg et aujourd’hui (prĂ©cise-t-elle en souriant) elle suit sans arrĂȘt des rĂ©gimes !

Avez-vous souffert du racisme des Polonais aprÚs la guerre ?

Mon mari était assez riche. Nous avons reçu une lettre anonyme et nous avons alors décidé de vendre sa maison, mais cela a pris un certain temps.

J’ai quittĂ© la Pologne. Je n’ai plus de famille en Pologne, je suis seule.

Une des mes sƓurs a Ă©tĂ© assassinĂ©e Ă  Auchwitz, quelqu’un l’a vue an 1943.

Mon autre sƓur a Ă©tĂ© envoyĂ©e aux travaux forcĂ©s Ă  MaĂŻdanek comme Polonaise et y a Ă©tĂ© vue par un autre groupe de polonais, mais on ne l’a jamais retrouvĂ©e. Toute ma famille a Ă©tĂ© dĂ©cimĂ©e.

Comment considĂ©rez-vous aujourd’hui IsraĂ«l ?

IsraĂ«l est ma mĂšre. J’ouvre les yeux et je vois le soleil et la vie. Je suis heureuse d’ĂȘtre ici et je suis chez moi.

Quand on a une mĂšre, mĂȘme si elle ne vous embrasse pas, on l’aime quand mĂȘme. IsraĂ«l est ma mĂšre.

Quel est le message que vous voulez transmettre aux jeunes ?

Vivre le prĂ©sent, ne pas oublier le passĂ©, essayer de transformer le futur. Ceci est issu d’un poĂšme de Adam Asni, poĂšte polonais du XVIIĂšme siĂšcle et je partage ces mots.

Conclusion

L’intensitĂ© du dialogue est forte. Mme Karvasser parle beaucoup, elle entre dans les dĂ©tails et a posĂ© une question assez particuliĂšre au tout dĂ©but, qu’elle a rĂ©pĂ©tĂ©e avant d’entamer l’entretien proprement dit : « Faut-il dire la vĂ©rité ? ».

La rĂ©ponse ayant Ă©tĂ© affirmative, l’entretien a pu commencer.

Capture d’écran 2015-07-14 Ă  19.33.10

les deux musées de Beit Lohamei Haghetaot : le musée des combattants et  le musée Yad Layeled

Commentaires de l’Artiste sur le tableau

Ayant assistĂ© Ă  l’incendie de Varsovie, de l’autre cĂŽtĂ© du mur qui avait Ă©tĂ© dressĂ© par les allemands, elle a pu voir un jour un SS prĂ©cipiter une enfant dans le brasier sous les yeux hallucinĂ©s de sa mĂšre. Il a d’ailleurs prĂ©cipitĂ© la mĂšre ensuite.

Le tableau retrace l’incendie de Varsovie, dans des jours les plus durs et les plus violents.

Mais l’horreur de la scĂšne Ă  laquelle a assistĂ© Bracha Karvasser n’est pas produite dans le tableau,  je me le suis interdit, car je ne voulais pas que cette horreur soit inscrite dans l’Ɠuvre.

Il fallait  donner  en revanche, le sens de la force de la couleur, car le rouge s’il est la couleur de l’incendie est aussi celle du sang et de la vie.

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les deux amies inséparables Bracah Karvasser et Dora Sternberg

 



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