Bernard Hejblum

2012 - 09 - 01 - Alain Husson-Dumoutier - IMG_2504 final« Commencer »

Bernard Hejblum n’a pas Ă©tĂ© un enfant cachĂ©, mais un enfant traquĂ©.
TraquĂ©: car ses parents avaient disparus Ă  la suite d’une rafle alors qu’il Ă©tait pensionnaire ailleurs.

TraquĂ©: parce que les allemands le cherchaient alors qu’il Ă©tait garçon de ferme et passeur de rĂ©fugiĂ©s la nuit. TraquĂ©: parce que la vie ne lui a pas donnĂ© d’enfant alors qu’il a tant d’amour Ă  offrir. TraquĂ©: parce qu’aujourd’hui, il sent toujours monter l’hostilitĂ© du monde.

seule sa maison au sommet de nice prÚs du ciel, sa création, sert de foyer à des réfugiés qui traversent la toile comme pour échapper.

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Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre d’Auschwitz.

120×90 Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre d’Auschwitz.

Capture d’écran 2015-07-05 Ă  20.23.45BERNARD HEJBLUM PrĂ©sentation

 

Né à Paris le 13 décembre 1931.

Ses parents ayant été déportés il se cache dans le sud de la France. Il devient berger et passeur de réfugiés  à la frontiÚre Espagnole. Il est traqué par la Gestapo comme enfant juif.

 

Quand vous ĂȘtes-vous senti libre ?

Mes  parents m’avaient mis  en pension Ă  la FertĂ© sous Jouarre. Un voisin milicien a prĂ©venu ma nourrice en disant que j’étais un enfant juif. Ma nourrice m’a mis dans un train. J’avais 10 ans. Mais quand suis arrivĂ© chez moi il n’y avait personne, mes parents avaient Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s.

Les voisins m’ont gardé  la nuit et je suis allĂ© voir le patron de mon pĂšre. Monsieur Vauclair, qui Ă©tait tailleur militaire et connaissait des paysans dans les Landes Ă  Hagetmau entre Dax et Orthez et je suis parti dans cette ferme oĂč je suis devenu ouvrier agricole. Je n’étais pas seul il ya avait deux autre jeunes qui Ă©taient ouvriers aussi. C’était le grand et le petit AndrĂ©. Ils Ă©taient accueillis aussi. Je dormais avec eux. La vie Ă©tait dure, pas d’eau, pas d’électricitĂ©, pas de chauffage.

Je suis restĂ© toute la guerre dans cette ferme pourtant je me rappelle qu’une fois j’étais Ă  NĂźmes et que j’ai Ă©chappĂ© Ă  la Gestapo. Ils Ă©taient derriĂšre une porte en verre avec une grille et me cherchaient la nuit avec des lampes torche Je n’ai pas ouvert la porte et je me suis enfui. Il y avait en bas des hommes avec des manteaux et des chapeaux. Depuis j’ai peur d’ĂȘtre enfermĂ©.

Il y avait aussi des rĂ©sistants dirigĂ©s par un certain Mr Lapeyre. A 12 ans je suis passeur. La ligne de dĂ©marcation Ă©tait une route vallonnĂ©e en Chalosse et les patrouilles allemandes avaient des motos avec des mitrailleuses. Ils patrouillaient nuit et jour. On profitait des accidents de terrain oĂč la vue Ă©tait bouchĂ©e par les collines pour passer. On faisait passer des personnes souvent en groupe en zone non occupĂ©e. Mais ce qui Ă©tait le plus terrible c‘est quand des enfants pleuraient il fallait les faire taire et on les Ă©tranglait pour Ă©viter que le groupe soit dĂ©couvert.

On attendait parfois longtemps car les Allemands s’arrĂȘtaient et observaient. On a passĂ© des gens importants, une fois des aviateurs anglais qui avaient Ă©tĂ© descendus. Je me souviens ils Ă©taient trĂšs dignes. Ils portaient encore leur foulard blanc autour du cou.

Je passais souvent seul car je gardais les vaches (j’en avais 16 Ă  garder) et on ne passait  jamais dans le  mĂȘme coin car il fallait revenir. Lapeyre  Ă©tait le capitaine et Ă©tait instituteur. Il me prĂȘtait des livres. Il me donnait des missions oĂč je passais des documents sur moi et que je venais livrer dans une mĂ©tairie qui Ă©tait le QG de la rĂ©sistance. J’étais en quelque sorte agent de liaison.

Toute la guerre je parlais patois, j’étais seul avec les vaches et mes chiens : Patou, un  vĂ©ritable monstre et Violette.

Je ne suis pas allĂ© Ă  l’école. Sauf pendant deux mois. Je m’appelais Courrache.

Quelqu’un m’a dĂ©noncĂ© et les Allemands sont venus et m’ont interrogĂ©. Ils cherchaient un enfant juif. J’ai dit que le juif Ă©tait un autre enfant de la classe et le temps qu’ils sont allĂ©s le voir je me suis enfui. Je ne suis jamais retournĂ© Ă  l’école. Quand les Allemands venaient  pour voir s’il n’ y avait pas de juif Ă  la ferme. Les chiens aboyaient et j’allais me planquer. Les gens de la ferme ont toujours niĂ© mon existence.

Personne ne m’aimait. La grand-mĂšre quand elle me voyait se signait parce que j’étais juif. Sauf la patronne qui s’appelait Maria. Elle me prenait pour son enfant. Elle avait 28 ans. C’était des « justes » mais je n’ai jamais fait les dĂ©marches. Je le regrette, j’aurais dĂ».

Quel fut votre premier acte quand la libération est arrivée ?

Le 8 mai 1945 ce fut la fin de la guerre et les cloches ont sonnĂ©. Quand la guerre fut finie je me suis mis Ă  pleurer pour 5 annĂ©es de larmes. Mais je suis restĂ© Ă  la ferme. Je portais le deuil de mon pĂšre et de ma mĂšre. Je ne savais pas qu’ils Ă©taient vivants. Mon pĂšre Ă©tait revenu d’Auschwitz et ma mĂšre Ă©tait allĂ©e Ă  Gurz, je crois. Je l’ai su car elle touchait une pension des Allemands   Ils ne m’ont jamais rien dit. Ma mĂšre Ă©tait revenue folle.

Nous sommes en été 1945 au mois de  juin..

Mon pĂšre va voir son ancien patron et apprend qu’il m’a envoyĂ© dans les Landes. Il prend le car pour Dax. Je suis sur la route avec les vaches et je vois le car passer  avec un Monsieur qui a un foulard rouge. Le car s’arrĂȘte et le Monsieur descend et me dit « Je suis Papa. »

On n’avait rien Ă  se dire. Il est reparti aprĂšs trois jours. Les vaches s’étaient Ă©gaillĂ©es et Ă©taient parties loin.

Ma mĂšre Ă©tait rentrĂ©e  de camp aprĂšs lui . Elle est venue aussi me voir. Mais elle est repartie. Puis mes parents  se sont retrouvĂ©s et quelques mois aprĂšs je suis revenu. On m’a mis Ă  l’école.

Mon pĂšre est redevenu tailleur et ma mĂšre faisait des boutonniĂšres. Je dormais dans le couloir par terre.

Je ne suis pas restĂ© avec mes parents. J’étais violent et d’une force considĂ©rable J’ai failli tuer un garçon  dans une bagarre parce qu’il m’avait traitĂ© de juif et on m’a virĂ© comme Ă©lĂ©ment asocial. J’étais en troisiĂšme. Je fuguais. Je partais et je me promenais dans Paris. Je revenais aprĂšs trois jours.

Je suis  alors retournĂ© Ă  la ferme. J’ai retrouvĂ© mes chiens.

Je suis revenu Ă  Paris. J’avais 17 ans, je voulais aller aux Beaux Arts. Je voulais devenir architecte mais j’étais nul en maths. Mes parents ont achetĂ© alors un appartement de 4 piĂšces.

Je faisais du marchĂ© noir avec le Shape et je gagnais beaucoup d’argent. J’avais achetĂ© trois chambres de bonne dans l’immeuble de mes parents. Quand je suis parti Ă  l’armĂ©e j’ai vendu les trois chambres  et mes parents ont achetĂ© une boutique.

De 1951 Ă  1954, j’ai fait mon service militaire. Je suis allĂ© en AlgĂ©rie dans les transmissions en Kabylie notamment puis au commandement gĂ©nĂ©ral oĂč j’étais chargĂ© de prĂ©parer les rĂ©giments en effectifs.  J’organisais les unitĂ©s. J’ai vĂ©cu les Ă©vĂšnements de Challe et de Zeller.

Mes parents

J’ai toujours subi. J’ai subi mon pĂšre, j’ai subi ma mĂšre, l’armĂ©e.

Ma mĂšre me disait que j’étais comme mon pĂšre, un ratĂ©. Elle me disait « Tu ne feras jamais rien de ta vie »

Elle ne m’a jamais aidĂ©, ni fait Ă  manger. Elle Ă©tait trĂšs Ă©lĂ©gante. Elle Ă©tait Kajar, ce peuple converti au judaĂŻsme dont parle Marek Halter. Elle avait toujours ses cheveux noirs, mĂȘme ĂągĂ©e. En 1957 elle a Ă©tĂ© frappĂ©e de la maladie d’Alzeimer Ă  47 ans et elle est morte Ă  84 ans. Durant toute sa maladie je me suis occupĂ© d’elle.

Sa mĂšre, ma grand’mĂšre, dont je n’ai aucune photo, Ă©tait considĂ©rĂ©e comme la folle  du village. Elle jetait des sorts, elle tirait les cartes.

J’ai Ă©tĂ© les parents de mes parents. Je les ai hĂ©bergĂ©s et nourris et mon pĂšre est mort chez moi, ici dans sa chambre que j’avais prĂ©parĂ©e pour lui. Il ne m’a jamais rien dit sur les camps. il Ă©tait silencieux.

Ma liberté

J’ai arrĂȘtĂ© de subir quand j’ai agi. Quand je suis devenu cadre chez Mercier quand j’avais 700 ouvriĂšres sous mes ordres Ă  29 ans.

Avez-vous souffert dans cette nouvelle vie ?

Je suis cyclothymique,  j’attends parfois d’ĂȘtre tout en bas pour rebondir. Je manque de confiance.

Je ne crois en rien. Je ne crois qu’en l’Amour.

J’ai eu des moments de dĂ©sespoir, j’ai pensĂ© me suicider. J’étais dans cette dĂ©marche. Qu’est ce que la vie sinon se projeter ? Si tu ne crois pas, tu ne peux pas.

Le nĂ©gatif programme l’échec.

Mon pĂšre me disait « Etre gentil n’est pas une qualitĂ© mais ĂȘtre mĂ©chant est un dĂ©faut ».

 

Ma réussite dans cette vie ?

Tous les jours on a une petite rĂ©ussite. J’ai rĂ©ussi une vie professionnelle et d’homme. Tous mes projets ont abouti sauf celui de  fonder une famille. Je n’ai pas pu aimer. Peut ĂȘtre parce que je n’ai pas Ă©tĂ© aimĂ©.

Je me suis endurci à la séparation et je ne me suis jamais attaché. Quand les gens que je connaissais, partaient ou mouraient je me sentais libéré et je pouvais commencer autre chose.
Je ne me suis jamais battu pour garder mais j’ai tuĂ© symboliquement.
Quand mes parents ont disparu, je n’ai pas pleurĂ©.

Je n’ai jamais eu de modĂšle de famille. Mon pĂšre et ma mĂšre ne m’ont jamais embrassĂ©.

Je n’ai jamais Ă©tĂ© embrassĂ©.

Je n’ai jamais su qui j’étais mais je suis devenu juif.

Mon pĂšre Ă©tait originaire de Pologne d’un village appelĂ© Vukov oĂč les juifs Ă©taient installĂ©s depuis le 12Ăšme siĂšcle. C’était un village d’intellectuels.

Avez-vous un mot une phrase, un chiffre qui vous ait marqué ?

Non, je n’ai pas de phrase ou de chiffre en tĂȘte, mais un animal : l’ours dont je porte le nom. Bern veut dire l’ours.

Comment considérez- vous votre vie maintenant ?

Je crois que j’ai tirĂ© de la vie le maximum. J’ai construit cette maison de mes mains sur une ancienne  dĂ©charge et elle est en haut de Nice. J’en suis fier.

Elle m’assure ma subsistance car je n’ai qu’une retraite de 350 euros par mois versĂ©e par les Suisses en dĂ©dommagement de ce qu’ils nous ont pris. J’ai installĂ© sur le terrain  Ă  cotĂ© de la maison sur le jardin , deux logements avec piscine que je donne Ă  louer surtout l’étĂ© mais pendant toute l’annĂ©e aussi .

Je veux en faire un centre d’études sur les AshkĂ©nazes car j’ai 8 cousins  et des neveux mais ils ne s’intĂ©ressent pas Ă  moi. MĂȘme pas de tĂ©lĂ©phone pour les vƓux
.

Quel message pouvez-vous et voulez-vous  laisser aux jeunes ?

Avoir confiance en soi.

Ne pas compter sur les autres.

Avoir un projet de vie

La plus belle chose dans l’existence c’est de commencer. Il faut attaquer le premier pas.

Conclusion

Tous les souvenirs Ă©tant trĂšs forts, Monsieur Heijblum est constamment dans l’émotion. Au cours de l’entretien. Il ne rĂ©sout pas ses contradictions mais les connaĂźt.

Il n’a pas dit qu’il Ă©tait devenu un spĂ©cialiste de l’art contemporain et qu’il a vĂ©cu de ses connaissances. Il a eu une belle collection et garde encore de beaux tableaux d’artistes connus. Il est prĂ©sident d’une association d’artistes peintres.

Enfin il crĂ©e lui mĂȘme des Ɠuvres Ă  mi chemin entre peinture et sculpture Ă  partir de cages Ă  oiseaux Ă©crasĂ©es symbolisant la destruction de l’enfermement. Homme gĂ©nĂ©reux et sympathique Monsieur Bernard Heijblum est attachant, doux, maitrisant bien ses pulsions. Il est aussi trĂšs pudique.

Il a Ă©tĂ© mon principal soutien dans cette recherche auprĂšs des RescapĂ©s de la Shoah car il a appelĂ© lui mĂȘme de nombreuses personnes et m’a recommande pour rĂ©aliser les  interviews. Il Ă©tait d’ailleurs souvent prĂ©sent lors des entretiens. Je ne le remercierai jamais assez pour son aide. il est devenu un vĂ©ritable ami.

Commentaire sur le tableau

Deux espaces construisent ce tableau. Tout d’abord la maison qu’a construite de ses mains Bernard Hejblum. C’est une maison d’architecte oĂč les espaces sont ouverts et les fenĂȘtres nombreuses. Elles sont peintes en jaune comme le soleil. Le nom de cette maison est la « Villa Soleil ».  Ensuite  c’est la nuit Ă©clairĂ©e par la lune et un groupe de personnes fantomatiques passe la frontiĂšre espagnole avec le secours de Bernard qui est encore un enfant. Le clair de lune forme la lettre C du verbe « commencer ».

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 Bernard Hejblum devant son tableau chez lui

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Bernard Hejblum présentant les Rescapes de la Shoah au  centre Elie Wiezel de Nice  le 24 02  2014



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