Bernard Hejblum
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Bernard Hejblum nâa pas Ă©tĂ© un enfant cachĂ©, mais un enfant traquĂ©.
TraquĂ©: car ses parents avaient disparus Ă la suite dâune rafle alors quâil Ă©tait pensionnaire ailleurs.
TraquĂ©: parce que les allemands le cherchaient alors quâil Ă©tait garçon de ferme et passeur de rĂ©fugiĂ©s la nuit. TraquĂ©: parce que la vie ne lui a pas donnĂ© dâenfant alors quâil a tant dâamour Ă offrir. TraquĂ©: parce quâaujourdâhui, il sent toujours monter lâhostilitĂ© du monde.
seule sa maison au sommet de nice prÚs du ciel, sa création, sert de foyer à des réfugiés qui traversent la toile comme pour échapper.
120×90
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre dâAuschwitz.
120×90 Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre dâAuschwitz.
BERNARD HEJBLUM Présentation
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Né à Paris le 13 décembre 1931.
Ses parents ayant été déportés il se cache dans le sud de la France. Il devient berger et passeur de réfugiés  à la frontiÚre Espagnole. Il est traqué par la Gestapo comme enfant juif.
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Quand vous ĂȘtes-vous senti libre ?
Mes parents mâavaient mis en pension Ă la FertĂ© sous Jouarre. Un voisin milicien a prĂ©venu ma nourrice en disant que jâĂ©tais un enfant juif. Ma nourrice mâa mis dans un train. Jâavais 10 ans. Mais quand suis arrivĂ© chez moi il nây avait personne, mes parents avaient Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s.
Les voisins mâont gardĂ©Â la nuit et je suis allĂ© voir le patron de mon pĂšre. Monsieur Vauclair, qui Ă©tait tailleur militaire et connaissait des paysans dans les Landes Ă Hagetmau entre Dax et Orthez et je suis parti dans cette ferme oĂč je suis devenu ouvrier agricole. Je nâĂ©tais pas seul il ya avait deux autre jeunes qui Ă©taient ouvriers aussi. CâĂ©tait le grand et le petit AndrĂ©. Ils Ă©taient accueillis aussi. Je dormais avec eux. La vie Ă©tait dure, pas dâeau, pas dâĂ©lectricitĂ©, pas de chauffage.
Je suis restĂ© toute la guerre dans cette ferme pourtant je me rappelle quâune fois jâĂ©tais Ă NĂźmes et que jâai Ă©chappĂ© Ă la Gestapo. Ils Ă©taient derriĂšre une porte en verre avec une grille et me cherchaient la nuit avec des lampes torche Je nâai pas ouvert la porte et je me suis enfui. Il y avait en bas des hommes avec des manteaux et des chapeaux. Depuis jâai peur dâĂȘtre enfermĂ©.
Il y avait aussi des rĂ©sistants dirigĂ©s par un certain Mr Lapeyre. A 12 ans je suis passeur. La ligne de dĂ©marcation Ă©tait une route vallonnĂ©e en Chalosse et les patrouilles allemandes avaient des motos avec des mitrailleuses. Ils patrouillaient nuit et jour. On profitait des accidents de terrain oĂč la vue Ă©tait bouchĂ©e par les collines pour passer. On faisait passer des personnes souvent en groupe en zone non occupĂ©e. Mais ce qui Ă©tait le plus terrible câest quand des enfants pleuraient il fallait les faire taire et on les Ă©tranglait pour Ă©viter que le groupe soit dĂ©couvert.
On attendait parfois longtemps car les Allemands sâarrĂȘtaient et observaient. On a passĂ© des gens importants, une fois des aviateurs anglais qui avaient Ă©tĂ© descendus. Je me souviens ils Ă©taient trĂšs dignes. Ils portaient encore leur foulard blanc autour du cou.
Je passais souvent seul car je gardais les vaches (jâen avais 16 Ă garder) et on ne passait  jamais dans le  mĂȘme coin car il fallait revenir. Lapeyre était le capitaine et Ă©tait instituteur. Il me prĂȘtait des livres. Il me donnait des missions oĂč je passais des documents sur moi et que je venais livrer dans une mĂ©tairie qui Ă©tait le QG de la rĂ©sistance. JâĂ©tais en quelque sorte agent de liaison.
Toute la guerre je parlais patois, jâĂ©tais seul avec les vaches et mes chiens : Patou, un vĂ©ritable monstre et Violette.
Je ne suis pas allĂ© Ă lâĂ©cole. Sauf pendant deux mois. Je mâappelais Courrache.
Quelquâun mâa dĂ©noncĂ© et les Allemands sont venus et mâont interrogĂ©. Ils cherchaient un enfant juif. Jâai dit que le juif Ă©tait un autre enfant de la classe et le temps quâils sont allĂ©s le voir je me suis enfui. Je ne suis jamais retournĂ© Ă lâĂ©cole. Quand les Allemands venaient pour voir sâil nâ y avait pas de juif Ă la ferme. Les chiens aboyaient et jâallais me planquer. Les gens de la ferme ont toujours niĂ© mon existence.
Personne ne mâaimait. La grand-mĂšre quand elle me voyait se signait parce que jâĂ©tais juif. Sauf la patronne qui sâappelait Maria. Elle me prenait pour son enfant. Elle avait 28 ans. CâĂ©tait des « justes » mais je nâai jamais fait les dĂ©marches. Je le regrette, jâaurais dĂ».
Quel fut votre premier acte quand la libération est arrivée ?
Le 8 mai 1945 ce fut la fin de la guerre et les cloches ont sonnĂ©. Quand la guerre fut finie je me suis mis Ă pleurer pour 5 annĂ©es de larmes. Mais je suis restĂ© Ă la ferme. Je portais le deuil de mon pĂšre et de ma mĂšre. Je ne savais pas quâils Ă©taient vivants. Mon pĂšre Ă©tait revenu dâAuschwitz et ma mĂšre Ă©tait allĂ©e Ă Gurz, je crois. Je lâai su car elle touchait une pension des Allemands  Ils ne mâont jamais rien dit. Ma mĂšre Ă©tait revenue folle.
Nous sommes en été 1945 au mois de juin..
Mon pĂšre va voir son ancien patron et apprend quâil mâa envoyĂ© dans les Landes. Il prend le car pour Dax. Je suis sur la route avec les vaches et je vois le car passer  avec un Monsieur qui a un foulard rouge. Le car sâarrĂȘte et le Monsieur descend et me dit « Je suis Papa. »
On nâavait rien Ă se dire. Il est reparti aprĂšs trois jours. Les vaches sâĂ©taient Ă©gaillĂ©es et Ă©taient parties loin.
Ma mĂšre Ă©tait rentrĂ©e de camp aprĂšs lui . Elle est venue aussi me voir. Mais elle est repartie. Puis mes parents se sont retrouvĂ©s et quelques mois aprĂšs je suis revenu. On mâa mis Ă lâĂ©cole.
Mon pĂšre est redevenu tailleur et ma mĂšre faisait des boutonniĂšres. Je dormais dans le couloir par terre.
Je ne suis pas restĂ© avec mes parents. JâĂ©tais violent et dâune force considĂ©rable Jâai failli tuer un garçon dans une bagarre parce quâil mâavait traitĂ© de juif et on mâa virĂ© comme Ă©lĂ©ment asocial. JâĂ©tais en troisiĂšme. Je fuguais. Je partais et je me promenais dans Paris. Je revenais aprĂšs trois jours.
Je suis alors retournĂ© Ă la ferme. Jâai retrouvĂ© mes chiens.
Je suis revenu Ă Paris. Jâavais 17 ans, je voulais aller aux Beaux Arts. Je voulais devenir architecte mais jâĂ©tais nul en maths. Mes parents ont achetĂ© alors un appartement de 4 piĂšces.
Je faisais du marchĂ© noir avec le Shape et je gagnais beaucoup dâargent. Jâavais achetĂ© trois chambres de bonne dans lâimmeuble de mes parents. Quand je suis parti Ă lâarmĂ©e jâai vendu les trois chambres et mes parents ont achetĂ© une boutique.
De 1951 Ă 1954, jâai fait mon service militaire. Je suis allĂ© en AlgĂ©rie dans les transmissions en Kabylie notamment puis au commandement gĂ©nĂ©ral oĂč jâĂ©tais chargĂ© de prĂ©parer les rĂ©giments en effectifs.  Jâorganisais les unitĂ©s. Jâai vĂ©cu les Ă©vĂšnements de Challe et de Zeller.
Mes parents
Jâai toujours subi. Jâai subi mon pĂšre, jâai subi ma mĂšre, lâarmĂ©e.
Ma mĂšre me disait que jâĂ©tais comme mon pĂšre, un ratĂ©. Elle me disait « Tu ne feras jamais rien de ta vie »
Elle ne mâa jamais aidĂ©, ni fait Ă manger. Elle Ă©tait trĂšs Ă©lĂ©gante. Elle Ă©tait Kajar, ce peuple converti au judaĂŻsme dont parle Marek Halter. Elle avait toujours ses cheveux noirs, mĂȘme ĂągĂ©e. En 1957 elle a Ă©tĂ© frappĂ©e de la maladie dâAlzeimer Ă 47 ans et elle est morte Ă 84 ans. Durant toute sa maladie je me suis occupĂ© dâelle.
Sa mĂšre, ma grandâmĂšre, dont je nâai aucune photo, Ă©tait considĂ©rĂ©e comme la folle du village. Elle jetait des sorts, elle tirait les cartes.
Jâai Ă©tĂ© les parents de mes parents. Je les ai hĂ©bergĂ©s et nourris et mon pĂšre est mort chez moi, ici dans sa chambre que jâavais prĂ©parĂ©e pour lui. Il ne mâa jamais rien dit sur les camps. il Ă©tait silencieux.
Ma liberté
Jâai arrĂȘtĂ© de subir quand jâai agi. Quand je suis devenu cadre chez Mercier quand jâavais 700 ouvriĂšres sous mes ordres Ă 29 ans.
Avez-vous souffert dans cette nouvelle vie ?
Je suis cyclothymique,  jâattends parfois dâĂȘtre tout en bas pour rebondir. Je manque de confiance.
Je ne crois en rien. Je ne crois quâen lâAmour.
Jâai eu des moments de dĂ©sespoir, jâai pensĂ© me suicider. JâĂ©tais dans cette dĂ©marche. Quâest ce que la vie sinon se projeter ? Si tu ne crois pas, tu ne peux pas.
Le nĂ©gatif programme lâĂ©chec.
Mon pĂšre me disait « Etre gentil nâest pas une qualitĂ© mais ĂȘtre mĂ©chant est un dĂ©faut ».
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Ma réussite dans cette vie ?
Tous les jours on a une petite rĂ©ussite. Jâai rĂ©ussi une vie professionnelle et dâhomme. Tous mes projets ont abouti sauf celui de  fonder une famille. Je nâai pas pu aimer. Peut ĂȘtre parce que je nâai pas Ă©tĂ© aimĂ©.
Je me suis endurci à la séparation et je ne me suis jamais attaché. Quand les gens que je connaissais, partaient ou mouraient je me sentais libéré et je pouvais commencer autre chose.
Je ne me suis jamais battu pour garder mais jâai tuĂ© symboliquement.
Quand mes parents ont disparu, je nâai pas pleurĂ©.
Je nâai jamais eu de modĂšle de famille. Mon pĂšre et ma mĂšre ne mâont jamais embrassĂ©.
Je nâai jamais Ă©tĂ© embrassĂ©.
Je nâai jamais su qui jâĂ©tais mais je suis devenu juif.
Mon pĂšre Ă©tait originaire de Pologne dâun village appelĂ© Vukov oĂč les juifs Ă©taient installĂ©s depuis le 12Ăšme siĂšcle. CâĂ©tait un village dâintellectuels.
Avez-vous un mot une phrase, un chiffre qui vous ait marqué ?
Non, je nâai pas de phrase ou de chiffre en tĂȘte, mais un animal : lâours dont je porte le nom. Bern veut dire lâours.
Comment considérez- vous votre vie maintenant ?
Je crois que jâai tirĂ© de la vie le maximum. Jâai construit cette maison de mes mains sur une ancienne dĂ©charge et elle est en haut de Nice. Jâen suis fier.
Elle mâassure ma subsistance car je nâai quâune retraite de 350 euros par mois versĂ©e par les Suisses en dĂ©dommagement de ce quâils nous ont pris. Jâai installĂ© sur le terrain à cotĂ© de la maison sur le jardin , deux logements avec piscine que je donne Ă louer surtout lâĂ©tĂ© mais pendant toute lâannĂ©e aussi .
Je veux en faire un centre dâĂ©tudes sur les AshkĂ©nazes car jâai 8 cousins et des neveux mais ils ne sâintĂ©ressent pas Ă moi. MĂȘme pas de tĂ©lĂ©phone pour les vĆuxâŠ.
Quel message pouvez-vous et voulez-vous laisser aux jeunes ?
Avoir confiance en soi.
Ne pas compter sur les autres.
Avoir un projet de vie
La plus belle chose dans lâexistence câest de commencer. Il faut attaquer le premier pas.
Conclusion
Tous les souvenirs Ă©tant trĂšs forts, Monsieur Heijblum est constamment dans lâĂ©motion. Au cours de lâentretien. Il ne rĂ©sout pas ses contradictions mais les connaĂźt.
Il nâa pas dit quâil Ă©tait devenu un spĂ©cialiste de lâart contemporain et quâil a vĂ©cu de ses connaissances. Il a eu une belle collection et garde encore de beaux tableaux dâartistes connus. Il est prĂ©sident dâune association dâartistes peintres.
Enfin il crĂ©e lui mĂȘme des Ćuvres Ă mi chemin entre peinture et sculpture Ă partir de cages Ă oiseaux Ă©crasĂ©es symbolisant la destruction de lâenfermement. Homme gĂ©nĂ©reux et sympathique Monsieur Bernard Heijblum est attachant, doux, maitrisant bien ses pulsions. Il est aussi trĂšs pudique.
Il a Ă©tĂ© mon principal soutien dans cette recherche auprĂšs des RescapĂ©s de la Shoah car il a appelĂ© lui mĂȘme de nombreuses personnes et mâa recommande pour rĂ©aliser les interviews. Il Ă©tait dâailleurs souvent prĂ©sent lors des entretiens. Je ne le remercierai jamais assez pour son aide. il est devenu un vĂ©ritable ami.
Commentaire sur le tableau
Deux espaces construisent ce tableau. Tout dâabord la maison quâa construite de ses mains Bernard Hejblum. Câest une maison dâarchitecte oĂč les espaces sont ouverts et les fenĂȘtres nombreuses. Elles sont peintes en jaune comme le soleil. Le nom de cette maison est la « Villa Soleil ».  Ensuite  câest la nuit Ă©clairĂ©e par la lune et un groupe de personnes fantomatiques passe la frontiĂšre espagnole avec le secours de Bernard qui est encore un enfant. Le clair de lune forme la lettre C du verbe « commencer ».
 Bernard Hejblum devant son tableau chez lui
Bernard Hejblum présentant les Rescapes de la Shoah au centre Elie Wiezel de Nice  le 24 02  2014