Renate Harpprecht
« Foi »
Renate Harpprecht a Ă©tĂ© sauvĂ©e in extremis par sa sĆur violoncelliste de lâorchestre de Birkenau. Le tableau a deux couleurs dominantes le rouge et le blanc. Figurent sur le cotĂ© droit encastrĂ©s lâun dans lâautre un violon et un violoncelle pour montrer la tendresse entre les deux sĆurs rĂ©unies par la musique qui leur a sauvĂ© la vie.
Ces couleurs de gaité se sont progressivement assombries et structurées pour devenir un blanc incandescent, celui de la neige et un rouge sombre traversé de noir qui représente le ciel nocturne des bombardements.
120x90cm
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre dâAuschwitz
120x90cm
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre dâAuschwitz
Renate LASKER-HARPPRECHT Présentation
Me Renate LASKER-HARPPRECHT se prĂ©sente comme une personne distinguĂ©e, incontestablement élĂ©gante avec une rĂ©elle prĂ©sence du regard. Lâentretien se dĂ©roule en français oĂč elle sâexprime Ă la perfection, mais elle parle lâallemand (sa langue maternelle), lâanglais (elle a vĂ©cu longtemps en Angleterre et aux USA), ainsi que lâitalien,
Durant son existence elle a été journalise à la BBC, écrivain, auteur de nombreux articles.
Issue dâune famille dâartiste, sa mĂšre Ă©tait Premierr violon dans lâorchestre philharmonique de Breslau.
Son pĂšre Ă©tait avocat Ă la cour de Cassation.
Sa sĆur Anita LASKERâWALLFISCH est Ă©galement violoncelliste et auteur de lâouvrage « la vĂ©ritĂ©Â en hĂ©ritage » : la violoncelliste dâAuschwitz (EditĂ© chez Albin Michel).
Quand vous ĂȘtes vous sentie libre ?
JâĂ©tais avec ma sĆur Ă Bergen-Belsen depuis novembre 1944, quand les anglais sont venus nous libĂ©rer, alors que les allemands nous disaient le contraire depuis des jours entiers. Nous avons entendu les hauts parleurs parler en anglais et nous dire que nous Ă©tions libĂ©rĂ©s et quâen raison des Ă©pidĂ©mies, nous serions pris en charge mĂ©dicalement.
CâĂ©tait le 15.avril.1945.
JâĂ©tais malade, mais jâai pu tout de suite donner des interviews. Jâai une vision, je me souviens dâun Anglais , le Captain Alexander, un juif, trĂšs distinguĂ©, qui avait un stick sous le bras comme les officiers anglais et qui vomissait devant le spectacle Ă©pouvantable de milliers de cadavres. Lâodeur Ă©tait atroce.
La premiĂšre annĂ©e de votre libĂ©ration, quâavez-vous fait ?
Nous avons  étĂ© libĂ©rĂ©s en avril et je suis restĂ©e jusquâen dĂ©cembre avec ma sĆur.
Ma sĆur faisait partie de lâorchestre de femmes de Birkenau, elle Ă©tait violoncelliste.
Mes parents avaient Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s et tuĂ©s tout de suite Ă IZBICA* prĂšs de LUBLIN, Nous, nous Ă©tions restĂ©s. Mon pĂšre a eu le temps de nous Ă©crire trois lettres et sa derniĂšre lettre donnait un passage dâun psaume : « je lĂšve les yeux vers les montagnes dâoĂč viendra le secours ».
Mon pÚre était trÚs brillant et intelligent. Il avait dit à ma soeur et à moi « Restez ici ». Et nous sommes restées à Breslau.
Nous travaillions Anita ma sĆur et moi. Jâai tout dâabord travaillĂ© dans une dĂ©charge publique, puis jâai Ă©tĂ© malade nous avons travaillĂ© toutes les deux avec des prisonniers français dans une usine de papier.
Ceux-ci nous ont appris Ă faire de faux papiers.
Nous étions relativement bien traitées dans la journée et nous avons décidé de nous enfuir, Anita et moi, avec les faux papiers portant de noms français.
Nous avons Ă©tĂ© Ă la gare de Breslau et jâĂ©tais dans le train et je rangeais mes valises lorsque jâai vu ma sĆur abordĂ©e par des hommes de la Gestapo avec leur long manteau de cuir.
Ils lâont arrĂȘtĂ©e et je suis descendue du train pour la rejoindre.Â
Il faisait nuit noire, et nous avons Ă©tĂ© placĂ©es dans la prison de Breslau appelĂ©e la « Graupe ». Câest lĂ que ma sĆur et moi, Ă qui un ami avait remis du cyanure, avons dĂ©cidĂ© de mourir pour Ă©chapper Ă la Gestapo.
Lorsque jâai pris le poison, je me suis presque Ă©vanouie, mais en fait, notre ami avait changĂ©, entre temps, le poison en sucre, et nous ne sommes pas mortes.
Quelques jours plus tard, les Allemands ont découvert que nous étions juives.
Comme nous Ă©tions dans la mĂȘme cellule, ma sĆur et moi, nous avons pu prĂ©parer notre interrogatoire, mais ils avaient trouvĂ© la machine utilisĂ©e pour faire nos faux papiers.
Le procĂšs a eu lieu aprĂšs plusieurs jours, pour ma sĆur et pour moi, ainsi que pour une amie qui vivait avec nous, une camarade dâĂ©cole, et un couple qui nous avait accompagnĂ©s.
Lâavocat qui devait nous dĂ©fendre nâĂ©tait pas prĂ©sent. Notre nom Ă©tait connu parce que mon pĂšre Ă©tait avocat. Mais le procĂšs a Ă©tĂ© une farce.
Ma sĆur a Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă 18 mois de prison et mois Ă 3 ans de pĂ©nitencier. Les autres ont Ă©tĂ© graciĂ©s et libĂ©rĂ©s. Mais ils ont Ă©tĂ© aussitĂŽt arrĂȘtĂ©s en temps que juifs, ce qui signifiait la mort.
Nous avons Ă©tĂ© relativement bien traitĂ©es au pĂ©nitencier qui sâappelait « Jauer ».
JâĂ©tais seule dans une cellule et jâĂ©tais sĂ©parĂ©e de ma sĆur que je nâai plus vue. Jây suis restĂ©e Ă peu prĂšs 6 mois.Â
*NDLR* A IZBICA les gens devaient creuser leur propres tombes et Ă©taient fusillĂ©s ensuite directement sur placeÂ
Puis on mâa appelĂ©e un jour, Ă lâĂ©poque tous les juifs devaient ajouter un prĂ©nom juif Ă leur prĂ©nom, pour montrer quâils Ă©taient juifs.
Mes prĂ©noms Ă©taient Renate Sarah et on mâa appelĂ©e un jour pour me demander de signer un papier, selon lequel je me « portais  volontaire » pour aller Ă Auschwitz»
Je savais  ce qui mâattendait, quand jâĂ©tais au pĂ©nitencier, un jour jâai eu mal aux dents, et chez le dentiste jâai pu parler Ă une femme qui revenait dâAuschwitz, je lui ai demandĂ© si il y avait des chambres Ă gaz et si toutes les horreurs que lâon racontait Ă©taient exactes. Elle mâa rĂ©pondu : « oui en pire ».
Jâai pris un train, pas celui des wagons Ă bestiaux, mais un train normal, et je suis arrivĂ©e Ă Auschwitz dĂ©but 1943.
CâĂ©tait la nuit, tout Ă©tait allumĂ©, on nous a emmenĂ©s dans une maison de douche »une vraie » et nous avons attendu le matin.
Ce qui était rassurant, nous avions nos noms enregistrés et il y avait des dossiers.
Câest lĂ quâinterviennent les signes.
1er signe :
On nous a emmenĂ©s dans des bureaux, on nous a rasĂ© la tĂȘte. Câest alors que par terre jâai vu une paire de chaussures. CâĂ©tait une paire de chaussures noires, avec des lacets rouges. Or ma mĂšre nous avait achetĂ© des chaussures Ă ma sĆur et Ă moi et parce que nous les trouvions banales, nous avions demandĂ© que lâon mette des lacets rouges.
Ces chaussures qui Ă©taient lĂ , par terre, Ă©taient donc celles de ma soeur. Ma sĆur Ă©tait donc lĂ .Â
2Úme signe :
Lorsque les Allemands ont compris que les Russes approchaient, vers la fin de notre sĂ©jour, ils ont brĂ»lĂ© tous les papiers, des monceaux de papiers et moi marchant pas loin de ce brasier, je vois par terre tombĂ© devant moi, un papier Ă peine consumĂ©. Je prends le papier et je lis, câest ma carte dâidentitĂ©.
A Birkenau, jâavais lâavantage dâavoir ma soeur qui Ă©tait violoncelliste dans lâorchestre. Elle avait un traitement diffĂ©rent et le soir je pouvais aller la voir, pour quâelle me donne un peu de nourriture
La libération
Comme je parlais plusieurs langues, je suis devenue interprĂšte en allemand, français, italien .Plus tard je suis restĂ©e pour les troupes anglaises, ma sĆur est restĂ©e aussi, car elle Ă©tait malade.
Jâai Ă©tĂ© aussi interprĂšte pour la population allemande.
Mais en décembre, le Captain Alexander à nouveau, nous a permis de nous en aller et nous a donné les papiers pour aller à Bruxelles.
Quand je suis arrivĂ©e pour la premiĂšre fois, jâai vu une ville qui nâavait pas Ă©tĂ© bombardĂ©e et comme nous nâavions plus de papiers, on nous a permis dâaller en Angleterre en 1945.
Ma sĆur est rentrĂ©e tout de suite dans un orchestre et moi je passais mon temps Ă aller au cinĂ©ma.
Mais pour aller en Angleterre il fallait ĂȘtre orphelin de moins de 18 ans, câest pour cela que jâai trafiquĂ© mon passeport, et sur ce dernier je suis nĂ©e en 1926.
En Angleterre, nous Ă©tions hĂ©bergĂ©es chez un cousin qui nous logeait chez lui et qui mâa recommandĂ© pour rentrer Ă la BBC.
Jâai commencĂ© Ă travailler Ă la BBC dans le service europĂ©en. La section allemande Ă©tait trĂšs importante, on Ă©tait trĂšs mal payĂ©s, mais câĂ©tait un honneur de travailler Ă la BBC.
Je suis devenue ensuite speakerine jusqu’en 1958.
Jâai Ă©pousĂ© un journalise français Mr ALLAIS, en 1Ăšrenoces en 1947.Â
Quel est le mot, la phrase, la couleur, la musique, la personne qui vous a fait tenir durant toute votre vie ?
— Ma soeur
Si je nâavais pas eu ma sĆur, je ne serai pas vivante.
Quand jâĂ©tais dans le camp, je nâavais pas le droit de la voir, mais jây allais quand mĂȘme, elle mangeait mieux que moi et elle me donnait de la nourriture. Et câest lĂ aussi que se place le 3Ăšme signe.
3Úme signe :
Au camp, jâĂ©tais trĂšs malade, Ă tel point jâai du aller au « revier », oĂč lĂ , chaque jour les SS venaient voir la situation des malades et dans la sĂ©lection expĂ©diaient vers la chambre Ă gaz les plus souffrants.
Nous Ă©tions sur des chĂąlits Ă trois Ă©tages, Ă raison de deux personnes en tĂȘte bĂȘche par Ă©tage.
JâĂ©tais tellement malade, quâon mâa mise sur le cotĂ© , celui des condamnĂ©s. Quand le SS est venu, je lui ai dit que jâĂ©tais la sĆur de la violoncelliste de lâorchestre, alors il mâa donnĂ© un coup de pied et mâa mise sur le cotĂ©. Sans ce coup de pied, je ne serais pas vivante.
lâorchestre dâAuschwitz (dessin de dĂ©portĂ© image dâarchive)
– La priĂšre
Je dois dire aussi que je crois Ă la priĂšre, cela mâa Ă©tĂ© une aide.
Je ne parle pas de cela avec ma sĆur, qui ne doit, Ă ma connaissance pas croire en Dieu, mais jâai Ă©galement en tĂȘte le psaume que mon pĂšre a Ă©crit avant de mourir : « je lĂšve les yeux vers le ciel, » alors que probablement ma mĂšre Ă©tait morte.
— La musique
La musique pour moi a Ă©tĂ© essentielle, je suis issue dâune famille de musiciens, jâai une passion pour JS Bach, et « la passion selon St Mathieu » est le morceau que je prĂ©fĂšre de ce compositeur.
Mon mari Ă©galement se rĂ©veille et sâendort avec JS Bach
Quel est le moment qui vous a le plus marquée,
Je dois vous confesser un Ă©pisode dont jâai honte.
Un jour, Ă Auschwitz quelquâun mâa donnĂ© un morceau de chocolat. CâĂ©tait extraordinaire dâavoir un morceau de chocolat.
Je voulais le partager avec ma sĆur, mais en route je nâai pas pu mâempĂȘcher de tout manger.
Jâai encore honte.de ce que jâai fait ce jour lĂ .
Comment considĂ©rez-vous votre vie aujourdâhui avec le recul ?
Jâaurais pu faire mieux. Je suis paresseuse « feignante » rien nâest parfait chez moi.
Mon français nâest pas parfait, je pense ĂȘtre vraiment bilingue en anglais, aprĂšs tant dâannĂ©es passĂ©es en Angleterre et aux Etats Unis, mais ce nâest pas parfait mĂȘme si je parle aussi lâitalien.
Anita Lasker Wallfisch
violoncelliste de lâorchestre deâAuschwitz, sĆur de Renate Lasker Haarprecht
Avez-vous le sens du pardon ?
Je ne peux pas gĂ©nĂ©raliser en ce qui concerne le peuple allemand. Mais pour la Shoah, cela nâest pas possible de pardonner.
Jâai vu quâon a tuĂ© des enfants.
Alors quelle âest votre position par rapport Ă Dieu ?
Je crois toujours en Dieu. Je nâai jamais perdu la foi.Â
Quel est le message que vous voulez transmettre aux jeunes ?
Il y a le danger des horreurs, il existe toujours. Les horreurs arrivent partout. Ce qui se passe en IsraĂ«l me choqueâŠ.
Jâadmire le grand musicien et chef dâorchestre Daniel BarenboĂŻm avec son orchestre mixte composĂ© de juifs et palestiniens. VoilĂ un homme extraordinaire.
Conclusion
Madame Renate LASKER-HARPPRECHT sâest exprimĂ©e avec clartĂ© et prĂ©cision.
On sent que cette personne est cultivĂ©e, intelligente, sensible et trĂšs attachĂ©e Ă sa sĆur. Entretien agrĂ©able placĂ© sous le signe de la reconnaissance et de lâouverture dâesprit.
Commentaire de lâArtiste sur le tableau Â
Le tableau a deux couleurs dominantes le rouge et le .blanc . Figurent sur le cotĂ© droit encastrĂ©s lâun dans lâautre un violon et un violoncelle pour montrer la tendresse entre les deux sĆurs rĂ©unies par la musique qui leur a sauvĂ© la vie.
En fait jâai Ă©tĂ© inspirĂ© par lâimpression majestueuse que donne le dernier tableau rĂ©alisĂ© par Nicolas de Stael intitulĂ© « lâorchestre ».
Ce tableau figure au musĂ©e dâAntibes ; il est rouge et blanc et Ă cĂŽtĂ© du piano se trouve la contrebasse esquissĂ©e dans un crĂšme trĂšs pĂąle.
 Pour le tableau sur Mme Harpprecht  ces couleurs de gaité se sont progressivement assombries et structurées pour redevenir un blanc incandescent, celui de la neige et un rouge sombre traversé de noir qui représente le ciel nocturne des bombardements
Ce tableau a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© avec des sables mĂ©langĂ©s de pigments purs, en provenance des plages du dĂ©barquement.et de la terre dâAuschwitz.
Le mot Foi figure dans le blanc.