Max Hecht

2012 - 09 - 01 - Alain Husson-Dumoutier - IMG_2508« Vigilance »

 

Le tableau reprĂ©sente un moment particulier de l’existence de cet homme, qui faillit ĂȘtre pendu Ă  un arbre dans la cour de l’endroit oĂč il travaillait.

Le ss qui devait le pendre lui a fait grùce, car son fils avait été tué quelques jours auparavant à stalingrad.

Cet arbre est presque mort, il est nouĂ©. Mais la vie ne demande qu’à sortir de ses branches. Il est enfermĂ© dans une fenĂȘtre, la fenĂȘtre de la vie.

Max Hecht a souhaitĂ© que le mort « Vigilance » figure en bas de l’oeuvre.

120x90cm

Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre d’Auschwitz

Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre d’Auschwitz

Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre d’Auschwitz

Capture d’écran 2015-07-05 Ă  21.22.03
Max Hecht Présentation

 

NĂ© Ă  Lodz, en Pologne le 10 Juin 1928

ArrĂȘtĂ© Ă  Lodz en septembre 1943. Il a Ă©tĂ© envoyĂ© Ă  Auschwitz, puis dans  diffĂ©rents camps le dernier Ă©tant Ludwighurst.

Libéré par les troupes Américaines, il pÚset 35kgs.

Quand vous ĂȘtes vous senti  libre ?

« Dans le camp je suis arrivĂ© avec ma famille. Ma mĂšre a tout de suite disparu Ă  notre arrivĂ©e ainsi que mon pĂšre qui Ă©tait dĂ©jĂ  malade. Quant Ă  ma sƓur elle est morte plus tard Ă  Bergen Belsen.

J’étais toujours avec mon frĂšre qui avait deux ans de plus que moi mais en fait, c’était moi l’ainĂ©. J’étais prĂ©occupĂ© par sa santĂ© car il  Ă©tait malade et trĂšs pĂąle. Une fois j’ai trouvĂ© une vieille lame de rasoir et j’ai grattĂ© le visage de mon frĂšre qui Ă©tait ainsi tout rouge
 je savais que les SS Ă©pargnaient ceux qui paraissaient en bonne santĂ© et c’était un moyen d’éviter d’ĂȘtre pris pour la chambre Ă  gaz.

Nous avons Ă©tĂ© d’abord Ă  Auschwitz-Birkenau 3 mois, puis dans une usine Ă  Braunschweig oĂč j’ai Ă©tĂ© ouvrier fraiseur, puis Ă  Wattenstadt , Ă  Lavensbruck et enfin Ă  Ludwig Hurst Ă  la frontiĂšre hollandaise jusqu’à la libĂ©ration.

 Nous avons Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s mais nous n’avons pas rĂ©agi. Nous avons Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s, par un soldat juif amĂ©ricain. Il  ne croyait pas ce qu’il voyait.  Il y avait des montagnes de morts.

Je pense malgrĂ© tout que j’ai eu plusieurs fois  de la chance, par exemple Ă  Braunschweig,

Un jour je m’étais assoupi enfermĂ© dans un placard dans l’usine, au chaud et je n’étais pas Ă  l’appel qui Ă©tait Ă  6heures du matin et je me suis rĂ©veillĂ© Ă  9 heures. Le SS qui m’a dĂ©couvert m’a dit qu’il me pendrait Ă  l’arbre au centre de la cour et il m‘a emmenĂ©. Sur le trajet, je lui ai glissĂ© « vous avez un enfant ? » il ne m’a pas rĂ©pondu puis  m’a dit « Tais-toi », plus tard en avançant il m’a dit « Mon fils est mort Ă  Stalingrad » et puis il m’a laissé ; il est parti. J’ai eu ainsi la vie sauve.

 Auparavant j’ai Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© dans le ghetto par des  Allemands et j’ai dit que je travaillais pour eux et comme ils me laissaient partir j’ai dit que ma mĂšre qui Ă©tait arrĂȘtĂ©e aussi Ă©tait avec moi et ils nous ont laissĂ© partir tous les deux.

 A Wattenstadt , une autre fois encore le kapo nous a provoquĂ© en nous demandant si nous Ă©tions prĂȘts Ă  vider 10 tonnes de charbon en boulets   contre 50 litres de soupe.  Nous Ă©tions deux. Nous  les avons  dĂ©chargĂ©s et on  a eu les 50 litres de soupe. On a tout bu Ă  deux et j’en ai apportĂ© Ă  mon frĂšre. La faim nous faisait tenir.

AprÚs la  libération

Les soldats amĂ©ricains nous ont trouvĂ© dans une maison abandonnĂ©e et nous ont amenĂ© Ă  l’hĂŽpital. Nous avons Ă©tĂ© soignĂ©s  avec mon frĂšre mais  nous nous sommes sauvĂ©s de l’hĂŽpital amĂ©ricain et nous avons eu tort car nous aurions  Ă©tĂ© bien soignĂ©s. A la libĂ©ration, je faisais 35 kgs.

 Avec mon frĂšre nous sommes allĂ©s Ă  Lodz  pour voir si nous avions encore des parents ou des personnes Ă  voir mais nous n’avons retrouvĂ© personne. On a mis trois semaines pour aller Ă  Lodz. Mon frĂšre Ă©tait encore trĂšs malade. Il avait de la rĂ©tention d’eau

Nous avions un autre  frĂšre qui Ă©tait allĂ© en Russie avant la guerre  et qui Ă©tait soldat dans l’armĂ©e rouge. Il avait Ă©tĂ© Ă  Stalingrad. Il Ă©tait Ă  40 km de Lodz. Nous l’avons retrouvĂ© et il nous a placĂ©s dans une ferme qui nous a nourris.

Dans cette ferme allemande, les habitants nous ont demandé de rester. Ils savaient que rien ne leur arriverait si nous étions là.

 Il y avait un  ancien prisonnier catholique Polonais qui avait un vĂ©lo et un pistolet. Avec son pistolet il a arrĂȘtĂ© un cycliste et s’est ainsi procurĂ© le vĂ©lo. Puis nous sommes allĂ©s dans une ferme et il a demandĂ© que les personnes sur place  sortent tous les bijoux et il les a pris.  Moi, je n’étais pas d’accord mais il m’a dit « AprĂšs tout ce qu’ils t’ont fait ?  Tu ne trouves pas cela normal ? » J’avais peur car c’était du vol. J’étais jeune et naĂŻf.

Puis nous avons dĂ©cidĂ© d’aller en France. Nous ne voulions pas rester en Pologne qui Ă©tait trop antisĂ©mite Nous sommes passĂ©s illĂ©galement par le train. J’étais en uniforme amĂ©ricain, mon frĂšre qui avait Ă©tĂ© avec moi dans les camps Ă©tait dĂ©guisĂ© en soldat anglais et mon autre frĂšre que nous avions retrouvĂ© en soldat russe.

Nous avions de la famille en France 6 oncles et tantes Ă  Paris.

Et votre frÚre ?

Mon frÚre a récupéré. Il vit à Montpellier

La premiĂšre annĂ©e de retour qu’avez-vous fait ?

Un oncle m‘a appris le mĂ©tier de tailleur mĂ©canicien. Il avait perdu son fils et sa femme dans une rafle. J’ai essayĂ© d’aller Ă  l’Ecole Berlitz mais c’était trop compliquĂ© pour moi.

Quelle a été alors la grande rencontre de votre vie ?

Ce fut ma femme qui est encore lĂ  Ă  cotĂ© de moi aujourd’hui encore aprĂšs 52 ans de vie commune. Nous nous sommes rencontrĂ©s en 1948.

Madame Hecht prend alors la parole :

« Je m’étais jurĂ©e Ă  14 ans d’épouser un rescapĂ© de l’extermination. A la libĂ©ration nous allions dans des bals rĂ©servĂ©s aux juifs mais aussi tout le monde pouvait venir et nous nous sommes rencontrĂ©s Max et moi et nous nous sommes mariĂ©s.

 Nous avons eu deux enfants : un garçon  en 1951 et une fille  en 1957 qui a elle-mĂȘme eu deux enfants.  Elle vit en Italie. Nous avons une petite fille Elsa qui termine Sciences Po Ă  22 ans et vient de finir son mĂ©moire sur Rimbaud.

Dans cette existence quels sont les éléments qui vous ont marqué ?

 Il a fallu nous battre avec nos propres armes. Je ne suis pas allĂ©e Ă  l’école. Mais nous avons tout appris par nous-mĂȘmes. Notamment le français».

 Monsieur Hecht reprend : »Nous sommes arrivĂ©s Ă  Nice en 1958. Jusqu’en 1986 j’ai eu un magasin de confection hommes et Femmes Ă  Nice. Puis en 1986, Ă  ma retraite, je suis devenu marchand de tableaux. J’allais dans les salles de ventes et je me suis formĂ© moi-mĂȘme dans les musĂ©es. Cela a commencĂ© quand j’ai vu une fois dans une salle des ventes ce meuble (il montre un meuble du 18Ăšme siĂšcle en marquetterie)  Il Ă©tait noir recouvert de saletĂ© et j’ai senti qu’il Ă©tait de qualitĂ©. Quand il a Ă©tĂ© nettoyĂ© une signature d’un Ă©bĂ©niste cĂ©lĂšbre est apparue.

Madame Hecht suit alors.
« Vous voyez ce tableau » : elle montre un  grand tableau de Tobiasse. Nous l’avons achetĂ© ensemble. Nous Ă©tions chez Tobiasse et regardions ensemble cette Ɠuvre qui me fascinait. Or mon mari avait gardĂ© de l’argent pour m’acheter mon premier bijou. C’était exactement le montant du prix du tableau. Et nous avons achetĂ© le tableau Ă  la place du bijou. »

Les justes

« Mais  surtout je voudrais dire», Madame Hecht poursuit et son mari ne l’interrompt pas.

« Je voudrais dire toute l’admiration et l’affection que je porte Ă  ces personnes qui nous ont accueillis et protĂ©gĂ©s au pĂ©ril de leur vie durant la guerre. Vous voyez cette photo : elle montre une photo oĂč une vieille dame aux cheveux  blancs est dans un lit et Ă  cotĂ© d’elle Madame Hecht  se tient assise. Les larmes aux yeux.

Cette dame nous a accueillis et voyez vous nous avons gardé des relations avec elle et toute sa famille. Les Fortin et les Bulloux .

 La mĂ©moire perdure car par exemple les enfants et les petits enfants restent en contact avec nous. Nous les voyons et une vĂ©ritable amitiĂ© nous lie. Pour le 60Ăšme anniversaire d’Auschwitz ils ont envoyĂ© une lettre
 et ce sont de trĂšs fidĂšles catholiques que nous aimons.

Vous voyez la fameuse rafle du 16 juillet 1942 Ă  Paris oĂč il faisait si chaud, des voisins avaient prĂ©venu ma mĂšre qui n’y croyait pas. Mon pĂšre Ă©tait dĂ©jĂ  parti. Et heureusement qu’une voisine a gardĂ© mon frĂšre et moi dans une piĂšce isolĂ©e au pĂ©ril de sa vie (les allemands condamnaient tous ceux qui protĂ©geaient les juifs) parce que nous aurions Ă©tĂ© pris dans la rafle. Ceux qui venaient nous arrĂȘter savaient tout sur nous, qui nous Ă©tions ? Quelle apparence nous avions ? Quel  Ăąge nous avions, etc ?
 Nous Ă©tions prĂšs du gymnase Japy et on entendait les enfants pleurer et crier. C’était horrible. Noua avons Ă©tĂ© cachĂ©s sous un cosy et c’est depuis que je suis asthmatique.

 Ma mĂšre a Ă©tĂ© sauvĂ©e aussi, elle s’était cachĂ©e dans un grenier, et nous avons Ă©tĂ© alors rejoindre mon pĂšre Ă  Brou dans l’Eure et Loir. Il avait trouvĂ© un passeur qui a Ă©tĂ© honnĂȘte car il aurait pu toucher la prime offerte par les Allemands. Ainsi il aurait gagnĂ© le prix du passage plus la prime.

On a vĂ©cu Ă  quatre dans 10m2. Au dessus une femme faisait la fiesta avec les allemands et savait qu’on Ă©tait en dessous. Elle ne nous a jamais dĂ©noncĂ©s.

Max et Antoinette Hecht le 24 février 2014 au centre Elie Wieze de Nice

Quel est le message que vous souhaitez transmettre aux générations futures ?

Je pense que l’homme est plus fort que l’animal. A Birkenau les SS nous faisaient trainer dans la boue froide et glaciale dans des conditions Ă©pouvantables et nous avons tenu Ă  force de volontĂ©.

Il faut ĂȘtre vigilant, avoir l’Ɠil ouvert.

Madame Hecht reprend Ă  la suite

Soyez tolérant et ayez du respect. 

Vous voyez poursuit-elle je ne comprends pas ces jeunes qui mĂ©prisent la France. Mon fils qui a vĂ©cu Ă  lâ€˜Ă©tranger dit que la France est le meilleur pays du monde.

Beaucoup de gens nous ont protĂ©gĂ©s et je les remercie. Quand on insulte la France j’ai mal pour la France. Il faut avoir le respect de la nation.

 Pourtant Il arrive parfois qu’il y ait des erreurs. Quand en 1974 mon mari a voulu acquĂ©rir la nationalitĂ© française on a voulu lui faire faire une dictĂ©e on lui a demandĂ© oĂč il avait fait son service militaire 
 Il a rĂ©pondu dans les camps de concentration
.

Conclusion

Cet entretien a Ă©tĂ© difficile car Monsieur Hecht est en dĂ©finitive assez secret. Sa prudence montre la souffrance qui n’a pas pu ĂȘtre Ă©vacuĂ©e. L’entretien n’a pu se rĂ©aliser dans une continuitĂ© logique. Les souvenirs venant par vagues successives emmĂȘlĂ©es. Et pourtant le contenu douloureux apparaĂźt entre les lignes sous une apparence paisible.

AprÚs une premiÚre lecture du compte rendu je reçois avec les corrections qui ont été apportées le mot suivant :

Cher Monsieur,

Notre fils Marc, notre fille Catherine, qui a deux filles : Elsa et InÚs la plus jeune,  sont tous consciemment  inconsciemment  concernés, atteints par notre passé.
Ils sont notre raison de vivre.
Merci  Mille fois

Signé A. Hecht 

Capture d’écran 2015-07-05 Ă  21.07.41

Max et Antoinette Hecht le 24 février 2014 au centre Elie Wieze de Nice

 

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Le jour oĂč son tableau est prĂ©sentĂ© Ă  Max Hecht Ă  Nice

[youtube]http://youtu.be/sgbDerPLEac[/youtube]



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