Mireille Marachin

2012 - 09 - 01 - Alain Husson-Dumoutier - IMG_2491« Liberté »

 

Mireille Marachin a un regard étonnant: il est bleu, limpide, légèrement rêveur avec une pointe de tristesse, voire d’angoisse dont l’origine se trouve dans son enfance alors qu’elle était cachée dans une cave. L’ombre prédomine dans ce tableau. La partie droite, plus claire, est de cette couleur d’automne qu’elle porte souvent sur elle-même et qui rappelle l’auburn de sa chevelure. Ce regard est presque enfermé dans l’ensemble de l’œuvre et le livre dont les phrases sont effacées et les pages abimées se trouvant derrière le visage est presque informe. Cette allégorie se réfère à la ittérature qu’elle affectionne particulièrement mais qui n’a jamais pu remplacer son enfance meurtrie.

120x90c

Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz

120x90c Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz

120x90c Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz

Capture d’écran 2015-07-05 à 19.11.08MIREILLE MARACHIN Présentation

 

NĂ©e le 18 septembre 1935 Ă  Paris.

Durant la guerre, Mireille Marachin est réfugiée dans le Sud de la France à Pau et a été sauvée entre autres par des fermiers béarnais : Mr et Mme Pommès. Elle a obtenu, en 2003, qu’ils soient enregistrés parmi les Justes. Une de ses épreuves en tant qu’enfant cachée a été décrite dans un ouvrage intitulé « Les enfants sauvés », bande dessinée aux Editions Delcourt. Mireille Marachin est une rescapée de la Shoah bien que n’ayant pas été internée dans un camp de concentration ou d’extermination  mais ayant vécu durant sa petite enfance, trois années, séparée de ses parents, entre familles d’accueil, orphelinats et couvents.

Quand vous êtes vous sentie libre ?

 En fait, mon existence a été une suite d’emprisonnements puisque mon père était autoritaire. Enfant, j’ai été « enfermée » pendant la guerre, soit dans des Institutions catholiques, alors que  j’étais juive, soit dans des lieux secrets pour éviter de tomber dans les rafles allemandes avec l’angoisse quotidienne de partir, comme ma meilleure  amie Liliane, raflée avec ses parents en 1943 et que je n’ai plus jamais revue. 

Je me suis mariée à 19 ans et suis tombée dans un autre enfermement, celui du mariage. Mon mari me trompant sans arrêt, je suis devenue  anorexique et incapable de devenir mère biologiquement.

J’ai décidé alors d’adopter une enfant et le hasard a bien fait les choses. Un de mes employés m’a indiqué une famille de Crète qui était d’accord pour que leur 11ème enfant puisse être adopté, une petite fille, que j’ai appelée Sophie.

C’est à cette époque, en 1964, que j’ai fait la connaissance d’un grec, dans l’avion qui me conduisait en Crète et que j’ai rencontré l’amour.

Il était armateur, mon histoire a duré 3 mois, de juin au 15 août. Puis je suis rentrée avec le bébé à Paris. J’ai tout dit à mon mari, mais nous ne sous sommes pas séparés. Nous avons continué à vivre ensemble pendant 3 ans, tant bien que mal, jusqu’à ce que l’adoption de Sophie soit validée par la législation française.

Quant à Georges, mon ami grec crétois, sa famille avait mis le veto à nos relations. Son frère était venu me voir pour me dire que « jamais il ne pourrait épouser une divorcée, juive de surcroît ».

Etant toujours mariée officiellement, j’ai rencontré  par la suite, j’avais 30 ans, un jeune étudiant de 23 ans Charles, frère d’une de mes amies, avec lequel j’ai eu une aventure et qui a été le père de mon enfant biologique.

J’ai découvert ainsi que je pouvais être mère et j’ai donc accouché d’une petite Anne le 18 juin 1967.

 Mon mari n’a sans doute pas été dupe, mais a endossé la paternité de l’enfant.

Après l’avoir reconnue, il m’a quittée définitivement, nous avons entamé une procédure de divorce.

 Anne n’a su que très récemment qui était son véritable père, mais elle ne l’a jamais rencontré.

En fait, ce n’est qu’en 1968, alors que j’étais maman de 2 enfants, que j’ai pu goûter à la liberté.

Je me suis sentie maîtresse de moi-même.

Je pensais que le monde allait changer, que les notions de liberté et d’égalité entre hommes et femmes étaient possibles.

Je me souviens de ma mère qui me disait : «  Qui va vouloir de toi avec tes 2 enfants ». La vie était dure, mais je n’avais pas peur, j’étais sûre de m’en sortir.

 J’ai terminé une maîtrise de lettres en 1969 et Sciences Po en 1970.

J’ai recommencé à travailler avec mon père, qui était cardiaque. En sortant en pleurs d’un examen raté à Sciences Po, un jeune homme s’est approché de moi et m’a dit «  Quand on a de si beaux yeux, on ne pleure pas ».

Il s’appelait Daniel Marachin ; nous nous sommes mariés et nous avons vécu 35 ans ensemble. Il m’a aidée à élever parfaitement mes enfants.

 Hélas, nous avons divorcé récemment. Nous ne nous entendions plus en raison de difficultés trop longues à expliquer. Quand mon mari est parti de 17 novembre 2004, je ne voulais absolument plus être libre. J’avais l’angoisse de vivre seule.

Il avait quitté la France, je me sentais abandonnée…

J’ai donc essayé de trouver un compagnon par une annonce dans le Nouvel Obs. il était juif, religieux, ne fumant pas, ne buvant pas, il avait l’air triste.

J’étais tout le contraire de lui et nous avons vécu 4 ans ensemble malgré tout.

Je me suis consacrée à lui. Mais à la fin, c’était épouvantable, je lui a donc demandé de partir, ce qu’il a fait.

Aujourd’hui, je vis seule à Paris, à Montparnasse, dans un quartier que j’aime, je sors beaucoup, au théâtre, au cinéma, j’ai le culte de l’amitié et ai conservé depuis longtemps un cercle d’amies et d’amis très présents.

Je suis aussi très proche de mes deux filles, surtout d’Anne qui est libraire au Puy en Velay. Elle a créé une librairie « Le chat perché », qui est la seule librairie jeunesses du département Haute Loire et juste en face de sa librairie, un magasin de jouets créatifs.

J’ai trois petits-enfants : un garçon de 20 ans Jonathan en licence pour devenir Professeur des écoles, une jeune fille de 16 ans Léa, en première, et un petit bout de chou de 4 ans, Solal.

Anne a été mariée une première fois, mais son mari est décédé, puis elle a vécu avec un éditeur de livres jeunesse,  le père de Solal.

 Ya-t-il un événement, une phrase qui vous ait accompagnée toutes ces années et que vous ai fait tenir ?

Ce qui m’a fait tenir, c’est l’amour de la lecture.

Quand j’avais 8 ans, en pleine guerre, je berçais ma petite sœur pour éviter qu’elle ne pleure et je lisais dans la bibliothèque de la maison aux volets clos…..j’ai lu Balzac, Alexandre Dumas, Victor Hugo….

Le livre que je préférais était les Misérables. J’aimais Cosette et Fantine, la fille perdue.

Les Trois Mousquetaires aussi, j’hésitais sur mon favori : d’Artagnan  le séducteur, Porthos, le bon gros, Athos le mystérieux ou Aramis l’ecclésiastique ?

Puis j’ai lu le Vicomte de Bragelonne, le Comte de Monte-Cristo et Vingt ans après …. J’aimais les costumes des siècles passés et tout ce qui était héroïque.

Le bonheur dans la lecture ! À huit ans j’ai découvert  dans Balzac un ouvrage peu connu, César Birotteau le parfumeur. J’ai été fascinée par son ascension dans la richesse puis sa chute et surtout la description du Paris du 19ème siècle, ce Paris que je ne reverrai qu’en 1948, après 8 années d’absence.

 La phrase fétiche que j’ai gardée en moi tout au long des années est la dernière  « d’Autant en emporte le vent », celle que Scarlett prononce quand tout est perdu… son amour est parti, son enfant est mort, elle n’a plus rien et elle dit : « Demain est un autre jour »… je connais le film par cœur. Elle trouve sa force en elle. Cela me sert à traverser toutes les épreuves.

Arrivée à l’âge de la retraite, j’ai trouvé une assise dans le bénévolat : servir les autres, être utile, me procure des énergies sans cesse renouvelées.

 Avez-vous un chiffre ou une couleur préférée?

Oui, ce chiffre 7 et ma couleur favorite est un rouge sombre, bordeaux, grenat.

Je n’aime ni le blanc, ni le beige, ni le bleu, ni le vert.

Ma mère puisque je suis rousse, voulait que je m’habille toujours en bleu ou en vert. J’aime aussi le gris, le noir et les couleurs du soleil en été.

Avec le recul, comment considérez-vous votre vie maintenant ? Quelle opinion en avez-vous ?

 Je suis de nature optimiste. Je vois toujours le verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide.

Cet optimisme et mon goût pour la lutte, je suis moyennement satisfaite. J’ai raté des opportunités professionnelles et sentimentales. Je n’ai pas fait les bons choix. Peut-être à cause de la personnalité de mon père ? Parce qu’il était omniprésent et omniscient !

Mon frère et mes sœurs ont su s’en échapper et c’est seulement à partir de 1966 que j’ai rué dans les brancards.

Par exemple, quand j’ai rencontré cet amour en Grèce, je suis revenue à cause de mon père. J’étais en conflit avec lui mais je voulais être conforme, en apparence tout au moins, aux principes qu’il m’avait inculqués. 

Votre mère a-t-elle eu une influence ?

Non, ma mère avait été orpheline, elle n’a jamais eu de foyer dans son enfance. Nous n’estimions pas ses jugements. Elle était très dominée par mon père. Elle n’arrivait pas à s’imposer.

Tous les quatre, nous n’accordions pas d’importance à ce qu’elle nous disait.

A 14 ans, je lui donnais des cours de grammaire française : elle aimait beaucoup la langue française.

Mon père était autodidacte. Il avait monté une usine à Pau, puis il a eu une chaine de magasins en province et une fabrique de vêtements pour hommes à Paris.

Il était arrivé en France à 14 ans en 1926. Je lui ressemble sur bien des points, sauf pour l’autoritarisme .

Il avait le culte de l’amitié et une grande générosité. Il aimait le théâtre, le cinéma, les livres.

C’était un citoyen dans la ville. Nous n’étions pas religieux mais nous respections les grandes fêtes.

Nous ne faisions pas Shabbat, ni ne suivions la « cachrout ».

Je me sens profondĂ©ment juive, issue d’un peuple sensible. Nous attendons le Messie, toujours et encore, Ă  ce qu’il paraĂ®t !….

Quand mon frère est né en 1940, il n’y en a eu que pour lui. Mon père l’adorait. Je haïssais ce nouveau bébé.

J’étais contente quand il  ne mangeait pas. Il allait mourir ! J’en étais jalouse. J’étais difficile, coléreuse, je provoquais pour qu’on fasse attention à moi.

Alors la vie maintenant ?

Je vis dans un immeuble récent, entourée de  meubles anciens.Le contraire de mes parents, car j’ai voulu me construire un passé. Je n’ai pas connu mes grands-parents et cela m’a toujours manqué.

Mes objets reconstituent le passé que je n’ai pas eu, les greniers pleins de souvenirs que je n’ai pas connus.

Chez moi, c’est un fatras de tout, avec des livres et des bibelots. Mon décor, ce décor que j’ai créé, me rassure.

Je me fais appeler Mamie par mes petits-enfants. Je suis heureuse de me faire appeler Mamie contrairement à toutes mes amies. C’est un très beau mot. Je fonds devant  mes petits-enfants.

J’ai un contact privilégié avec mon petit fils de 20 ans avec qui je parle toutes les semaines. Il vit à Toulouse avec son amie musulmane et pro-palestinienne.

J’adore mes petits-enfants. Une des plus beaux mots de la langue française, c’est Mamie pour moi en ce moment.

Quels sont les messages que vous voudriez transmettre aux jeunes générations ?

 J’ai deux mots à transmettre : Liberté et Amour.

Liberté pour l’individu et Amour pour autrui.

Nous nous devons d’être libres, de nous exprimer par la voix et l’écrit, être libres de nos mouvements, de nos moments, de nos pensées.

J’ai été privée de liberté enfant, durant plus de quatre années, je faisais semblant de communier, par peur des allemands, pour qu’on ne sache pas que j’étais juive.

Puis, j’ai eu l’enfermement des cliniques, où l’on me soignait pour anorexie mentale dans des chambres à barreaux.

A l’époque (les années soixante), le seul traitement connu était des électronarcoses, électrochocs censés vous ôter vos idées néfastes, à savoir désir de transcendance, de légèreté, quitter son corps pour devenir un pur esprit.

A présent, j’écoute et tente de comprendre l’autre, les autres, familiers ou étrangers.

J’ai infiniment de mal à accepter les décisions actuelles politiques en Israël, ces implantations à outrance de colonies sauvages me semble suicidaires pour ce pays que j’aime et que je respecte.

Commentaire de l’Artiste sur le tableau

Il s’agit d’un portrait.  Toute la difficulté reposait sur le fait de Madame Marachin a un regard étonnant : il est bleu, limpide, légèrement rêveur avec une pointe de tristesse, voire d’angoisse qui repose sur cette enfance enfermée qu’elle a vécue comme enfant caché.

L’ombre prédomine dans ce tableau et j’ai souhaité transmettre à travers la partie droite, plus claire, son goût pour la couleur marron qu’elle porte souvent sur elle-même et  qui rappelle l’auburn de sa chevelure.

Ce regard est presque enfermé dans l’ensemble de l’œuvre et le livre dont les phrases sont effacées et les pages abimées se trouvant derrière le visage est presque informe.

A travers cette allégorie, je souhaitais mettre en avant l’amour des livres qu’elle a toujours entretenu, mais ces livres, ne pouvaient remplacer son enfance meurtrie.

L’enfance est une maladie dont on ne guérit  jamais.

Le mot liberté qu’elle a souhaité mettre en avant au cours de l’entretien représente bien l’état psychologique de cette femme remarquable.

Le 1er juin 2011 presque deux ans après notre rencontre elle  vient voir son tableau et l’aime. Elle dit qu’elle le trouve beau  et qu’elle pense qu’il est le plus beau de tous. Elle aime son regard si vrai »

Capture d’écran 2015-07-05 à 19.11.37



Les commentaires sont fermés.

fr_FRFrançais