Renate Harpprecht

2012 - 09 - 01 - Alain Husson-Dumoutier - IMG_2494 final« Foi »

 

Renate Harpprecht a Ă©tĂ© sauvĂ©e in extremis par sa sƓur violoncelliste de l’orchestre de Birkenau. Le tableau a deux couleurs dominantes le rouge et le blanc. Figurent sur le cotĂ© droit encastrĂ©s l’un dans l’autre un violon et un violoncelle pour montrer la tendresse entre les deux sƓurs rĂ©unies par la musique qui leur a sauvĂ© la vie.

Ces couleurs de gaité se sont progressivement assombries et structurées pour devenir un blanc incandescent, celui de la neige et un rouge sombre traversé de noir qui représente le ciel nocturne des bombardements.

120x90cm

Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre d’Auschwitz

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Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre d’Auschwitz

Capture d’écran 2015-07-18 Ă  23.49.40Renate LASKER-HARPPRECHT PrĂ©sentation

 

Me Renate LASKER-HARPPRECHT se prĂ©sente comme une personne distinguĂ©e, incontestablement  Ă©lĂ©gante avec une rĂ©elle prĂ©sence du regard. L’entretien se dĂ©roule en français oĂč elle s’exprime Ă  la perfection, mais elle parle l’allemand (sa langue maternelle), l’anglais (elle a vĂ©cu longtemps en Angleterre et aux USA), ainsi  que l’italien,

Durant son existence elle a été journalise à la BBC, écrivain, auteur de nombreux articles.

Issue d’une famille d’artiste, sa mĂšre Ă©tait Premierr violon dans l’orchestre philharmonique de Breslau.

Son pĂšre Ă©tait avocat Ă  la cour de Cassation.

Sa sƓur Anita LASKER—WALLFISCH est Ă©galement violoncelliste et auteur de l’ouvrage « la vĂ©rité  en hĂ©ritage » : la violoncelliste d’Auschwitz (EditĂ© chez Albin Michel).

Quand vous ĂȘtes vous sentie libre ?

J’étais avec ma sƓur Ă  Bergen-Belsen depuis novembre 1944, quand les anglais sont venus nous libĂ©rer, alors que les allemands nous disaient le contraire depuis des jours entiers.  Nous avons entendu les hauts parleurs parler en anglais et nous dire que nous Ă©tions libĂ©rĂ©s et  qu’en raison des Ă©pidĂ©mies, nous serions pris en charge mĂ©dicalement.

C’était le 15.avril.1945.

J’étais malade, mais j’ai pu tout de suite donner des interviews. J’ai une vision, je me souviens d’un Anglais , le Captain Alexander, un juif,  trĂšs distinguĂ©, qui avait un stick sous le bras comme les officiers anglais et qui vomissait devant le spectacle Ă©pouvantable de milliers de cadavres. L’odeur Ă©tait atroce.

La premiĂšre annĂ©e de votre libĂ©ration, qu’avez-vous fait ?

Nous avons  étĂ© libĂ©rĂ©s en avril et je suis restĂ©e jusqu’en dĂ©cembre avec ma sƓur.

Ma sƓur faisait partie de l’orchestre de femmes de Birkenau, elle Ă©tait violoncelliste.

Mes parents avaient Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s et tuĂ©s tout de suite Ă  IZBICA* prĂšs de LUBLIN, Nous, nous Ă©tions restĂ©s. Mon pĂšre a eu le temps de nous Ă©crire trois lettres et sa derniĂšre lettre donnait un passage d’un psaume : « je lĂšve les yeux vers les montagnes d’oĂč viendra le secours ».

Mon pÚre était trÚs brillant et intelligent. Il avait dit à ma soeur et à moi « Restez ici ». Et nous sommes restées à Breslau.

Nous travaillions Anita ma sƓur et moi. J’ai tout d’abord travaillĂ© dans une dĂ©charge publique, puis j’ai Ă©tĂ© malade  nous avons travaillĂ© toutes les deux avec des prisonniers français dans une usine de papier.

Ceux-ci nous ont appris Ă  faire de faux papiers.

Nous étions relativement bien traitées dans la journée et nous avons décidé de nous enfuir, Anita et moi, avec les faux papiers portant de noms français.

Nous avons Ă©tĂ© Ă  la gare de Breslau et j’étais dans le train et je rangeais mes valises lorsque j’ai vu ma sƓur abordĂ©e par des hommes de la Gestapo avec leur long manteau de cuir.

Ils l’ont arrĂȘtĂ©e et je suis descendue du train pour la rejoindre. 

Il faisait nuit noire, et nous avons Ă©tĂ© placĂ©es dans la prison de Breslau appelĂ©e la « Graupe ». C’est lĂ  que ma sƓur et moi, Ă  qui un ami avait remis du cyanure, avons dĂ©cidĂ© de mourir pour Ă©chapper Ă  la Gestapo.

Lorsque j’ai pris le poison, je me suis presque Ă©vanouie, mais en fait, notre ami avait changĂ©, entre temps, le poison en sucre, et nous ne sommes pas mortes.

Quelques jours plus tard, les Allemands ont découvert que nous étions juives.

Comme nous Ă©tions dans la mĂȘme cellule, ma sƓur et moi, nous avons pu prĂ©parer notre interrogatoire, mais ils avaient trouvĂ© la machine utilisĂ©e pour faire nos faux papiers.

Le procĂšs a eu lieu aprĂšs plusieurs jours, pour ma sƓur et pour moi, ainsi que  pour une amie qui vivait avec nous, une camarade d’école, et un couple qui nous avait accompagnĂ©s.

L’avocat qui devait nous dĂ©fendre n’était pas prĂ©sent. Notre nom Ă©tait connu parce que mon pĂšre Ă©tait avocat. Mais le procĂšs a Ă©tĂ© une farce.

Ma sƓur a Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă  18 mois de prison et mois Ă  3 ans de pĂ©nitencier. Les autres ont Ă©tĂ© graciĂ©s et libĂ©rĂ©s. Mais ils ont Ă©tĂ© aussitĂŽt arrĂȘtĂ©s en temps que juifs, ce qui signifiait la mort.

Nous avons Ă©tĂ© relativement bien traitĂ©es au pĂ©nitencier qui s’appelait « Jauer ».

J’étais seule dans une cellule et j’étais sĂ©parĂ©e de ma sƓur que je n’ai plus vue. J’y suis restĂ©e Ă  peu prĂšs 6 mois. 

*NDLR* A IZBICA les gens devaient creuser leur propres tombes et étaient fusillés ensuite directement sur place 

Puis on m’a appelĂ©e un jour, Ă  l’époque tous les juifs devaient ajouter un prĂ©nom juif Ă  leur prĂ©nom, pour montrer qu’ils Ă©taient juifs.

Mes prĂ©noms Ă©taient Renate Sarah et on m’a appelĂ©e un jour pour me demander de signer un papier, selon lequel je me « portais  volontaire » pour aller Ă  Auschwitz»

Je savais  ce qui m’attendait, quand j’étais au pĂ©nitencier, un jour j’ai eu  mal aux dents, et chez le dentiste j’ai pu parler Ă  une femme qui revenait d’Auschwitz, je lui ai demandĂ© si il y avait des chambres Ă  gaz et si toutes les horreurs que l’on racontait Ă©taient exactes. Elle m’a rĂ©pondu : « oui en pire ».

J’ai pris un train, pas celui des wagons Ă  bestiaux, mais un train normal, et je suis arrivĂ©e Ă  Auschwitz dĂ©but 1943.

C’était la nuit, tout Ă©tait allumĂ©, on nous a emmenĂ©s dans une maison de douche »une vraie » et nous avons attendu le matin.

Ce qui était rassurant, nous avions nos noms enregistrés et il y avait des dossiers.

C’est là qu’interviennent les signes.

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1er signe :

On nous a emmenĂ©s dans des bureaux, on nous a rasĂ© la tĂȘte. C’est alors que par terre j’ai vu une paire de chaussures. C’était une paire de chaussures noires, avec des lacets rouges. Or ma mĂšre nous avait achetĂ© des chaussures Ă  ma sƓur et Ă  moi et parce que nous les trouvions banales, nous avions demandĂ© que l’on mette des lacets rouges.

Ces chaussures qui Ă©taient lĂ , par terre, Ă©taient donc celles de ma soeur. Ma sƓur Ă©tait donc lĂ . 

2Úme signe :

Lorsque les Allemands ont compris que les Russes approchaient, vers la fin de notre sĂ©jour, ils ont brĂ»lĂ© tous les papiers, des monceaux de papiers et moi marchant pas loin de ce brasier, je vois par terre tombĂ© devant moi, un papier Ă  peine consumĂ©. Je prends le papier et je lis, c’est ma carte d’identitĂ©.

A Birkenau, j’avais l’avantage d‘avoir ma soeur qui Ă©tait violoncelliste dans l’orchestre.  Elle avait un traitement diffĂ©rent et le soir je pouvais aller la voir, pour qu’elle me donne un peu de nourriture

La libération

Comme je parlais plusieurs langues, je suis devenue interprĂšte en allemand, français, italien .Plus tard je suis restĂ©e pour les troupes anglaises, ma sƓur est restĂ©e aussi, car elle Ă©tait malade.

J’ai Ă©tĂ© aussi interprĂšte pour la population allemande.

Mais en décembre, le Captain Alexander à nouveau, nous a permis de nous en aller et nous a donné les papiers pour aller à Bruxelles.

Quand je suis arrivĂ©e pour la premiĂšre fois, j’ai vu une ville qui n’avait pas Ă©tĂ© bombardĂ©e et comme nous n’avions plus de papiers, on nous a permis d’aller en Angleterre en 1945.

Ma sƓur est rentrĂ©e tout de suite dans un orchestre et moi je passais mon temps Ă  aller au cinĂ©ma.

Mais pour aller en Angleterre il fallait ĂȘtre orphelin de moins de 18 ans, c’est pour cela que j’ai trafiquĂ© mon passeport, et sur ce dernier je suis nĂ©e en 1926.

En Angleterre, nous Ă©tions hĂ©bergĂ©es chez un cousin qui nous logeait chez lui et qui m’a recommandĂ© pour rentrer Ă  la BBC.

J’ai commencĂ© Ă  travailler Ă  la BBC dans le service europĂ©en. La section allemande Ă©tait trĂšs importante, on Ă©tait trĂšs mal payĂ©s, mais c’était un honneur de travailler Ă  la BBC.

Je suis devenue ensuite speakerine jusqu’en 1958.

J’ai Ă©pousĂ© un journalise français Mr ALLAIS, en 1Ăšrenoces en 1947. 

Quel est le mot, la phrase, la couleur, la musique, la personne qui vous a fait tenir durant toute votre vie ?

— Ma soeur

Si je n’avais pas eu ma sƓur, je ne serai pas vivante.

Quand j’étais dans le camp, je n’avais pas  le droit de la voir, mais j’y allais quand mĂȘme, elle mangeait mieux que moi et elle me donnait de la nourriture. Et c’est lĂ  aussi que se place le 3Ăšme signe.

3Úme signe :

Au camp, j’étais trĂšs malade, Ă  tel point j’ai du aller au « revier », oĂč lĂ , chaque jour les SS venaient voir la situation des malades et dans la sĂ©lection expĂ©diaient vers la chambre Ă  gaz les plus souffrants.

Nous Ă©tions sur des chĂąlits Ă  trois Ă©tages, Ă  raison de deux personnes en tĂȘte bĂȘche par Ă©tage.

J’étais tellement malade, qu’on m’a mise sur le cotĂ© , celui des condamnĂ©s. Quand le SS est venu, je lui ai dit que j’étais la sƓur de la  violoncelliste de l’orchestre, alors il m’a donnĂ© un coup de pied et m’a mise sur le cotĂ©. Sans ce coup de pied, je ne serais pas vivante.

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l’orchestre d’Auschwitz (dessin de dĂ©portĂ© image d’archive)

– La priĂšre

Je dois dire aussi que je crois Ă  la priĂšre, cela m’a Ă©tĂ© une aide.

Je ne parle pas de cela avec ma sƓur, qui ne doit, Ă  ma connaissance pas croire en Dieu, mais j’ai Ă©galement en tĂȘte le psaume que mon pĂšre a Ă©crit avant de mourir : « je lĂšve les yeux vers le ciel, » alors que probablement ma mĂšre Ă©tait morte.

— La musique

La musique pour moi a Ă©tĂ© essentielle, je suis issue d’une famille de musiciens, j’ai une passion pour JS Bach, et « la passion selon St Mathieu » est le morceau que je prĂ©fĂšre de ce compositeur.

Mon mari Ă©galement se rĂ©veille et s’endort avec JS Bach

Quel est le moment qui vous a le plus marquée,

Je dois vous confesser un Ă©pisode dont j’ai honte.

Un jour, Ă  Auschwitz quelqu’un m’a donnĂ© un morceau de chocolat. C’était extraordinaire d’avoir un morceau de chocolat.

Je voulais le partager avec ma sƓur, mais en route je n’ai pas pu m’empĂȘcher de tout manger.

J’ai encore honte.de ce que j’ai fait ce jour là.

Comment considĂ©rez-vous votre vie aujourd’hui avec le recul ?

J’aurais pu faire mieux. Je suis paresseuse « feignante » rien n’est parfait chez moi.

Mon français n’est pas parfait, je pense ĂȘtre vraiment bilingue en anglais, aprĂšs tant d’annĂ©es passĂ©es en Angleterre et aux Etats Unis, mais ce n’est pas parfait mĂȘme si je parle aussi l’italien.

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Anita Lasker Wallfisch

violoncelliste de l’orchestre de’Auschwitz, sƓur de Renate Lasker Haarprecht

Avez-vous le sens du pardon ?

Je ne peux pas gĂ©nĂ©raliser en ce qui concerne le peuple allemand. Mais pour la Shoah, cela n’est pas possible de pardonner.

J’ai vu qu’on a tuĂ© des enfants.

Alors quelle ‘est votre position par rapport à Dieu ?

Je crois toujours en Dieu. Je n’ai jamais perdu la foi. 

Quel est le message que vous voulez transmettre aux jeunes ?

Il y a le danger des horreurs, il existe toujours. Les horreurs arrivent partout. Ce qui se passe en IsraĂ«l  me choque
.

J’admire le grand musicien et chef d’orchestre Daniel BarenboĂŻm avec son orchestre mixte  composĂ© de juifs et palestiniens. VoilĂ  un homme extraordinaire.

Conclusion

Madame Renate  LASKER-HARPPRECHT s’est exprimĂ©e avec clartĂ© et prĂ©cision.

On sent que cette personne est cultivĂ©e, intelligente, sensible et trĂšs  attachĂ©e Ă  sa sƓur. Entretien agrĂ©able placĂ© sous le signe de la reconnaissance et de l’ouverture d’esprit.

Commentaire de l’Artiste sur le tableau  

Le tableau a deux couleurs dominantes le rouge et le .blanc . Figurent sur le cotĂ© droit encastrĂ©s l’un dans l’autre un violon et  un violoncelle pour montrer la tendresse entre les deux sƓurs rĂ©unies par la musique qui leur a sauvĂ© la vie.

En fait j’ai Ă©tĂ© inspirĂ© par l’impression majestueuse que donne le dernier tableau rĂ©alisĂ© par Nicolas de Stael  intitulĂ© « l’orchestre ».

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Ce tableau figure au musĂ©e d’Antibes ; il est rouge et blanc et Ă  cĂŽtĂ© du piano se trouve la contrebasse esquissĂ©e dans un crĂšme trĂšs pĂąle.

 Pour le tableau sur Mme Harpprecht  ces couleurs de gaité se sont progressivement assombries  et structurées pour redevenir un blanc incandescent, celui de la neige et un rouge sombre traversé de noir qui représente le ciel nocturne des bombardements

Ce tableau a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© avec des sables mĂ©langĂ©s de pigments purs, en provenance des plages du dĂ©barquement.et de la terre d’Auschwitz.

Le mot Foi figure dans le blanc.

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