Martin Gray
« Bats-toi, va jusqu’au bout »
Comme tous les tableaux de cette série, celui concernant Martin Gray est un palimpseste, c’est-à -dire qu’il est construit en plusieurs couches superposées et signifiantes comme sa vie.
Les six lieux majeurs de son existence sont écrits sur les côtés, ils forment un bouclier de David occulte: Varsovie, Treblinka, Le Tanneron, Biot, new-York, Berlin.
Le gris, le blanc et le noir sont ses couleurs. L’œil est la partie centrale de l’œuvre, Toute l’œuvre tourne autour de cet œil bleu garni de diamants, celui qu’il a perdu dans une bagarre à Varsovie. Cet œil absent est très important, il est à la fois celui de la perte et celui de la survie. Il est ce 3ème œil dont se sert tout Maître de son destin.
120x90cm
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz
120x90cm
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz
MARTIN GRAY Présentation
L’entretien se déroule dans le salon immense de la très belle propriété de Mr Martin GRAY à Biot.
Il s’agit d’une grande maison qu’il a complètement restaurée et modernisée. De nombreux tableaux du même peintre, aux couleurs grises et noires, sont accrochés aux murs, une très grande table entourée de chaises doit servir pour les dîners.
Martin GRAY est un Monsieur grand, distingué, au visage encore jeune, les cheveux blancs sont un peu en bataille. Il a un regard intense et son sourire fréquent révèle « les dents de la chance ».
Dans le parc se trouve une très grande sculpture de forme parallélépipédique de 8 mètres de haut et de 3.5O mètres de côté environ.
Des pierres excavées, roses de la région de Tourtour sont accumulées, sur l’ensemble de la sculpture.
Elles forment de loin, grâce aux trous apparents, des milliers de têtes.
Le parallélépipède est construit de 6 étages, formés de séparations métalliques. Cette sculpture est l’œuvre de Martin GRAY, elle représente les 6 millions de morts de la Shoah.
A la sortie de l’entretien, Monsieur GRAY nous révèle que dans sa propriété du Tanneron, il avait lui-même installé de nombreuses sculptures monumentales. L’une d’entre elles était un amphithéâtre construit avec les chenilles de 200 chars d’assaut qu’il avait acheté pour les besoins de la cause.
Dès le premier regard, l’exceptionnalité du personnage apparaît.Martin Gray est un véritable Mensch au sens noble du terme
Quand vous êtes-vous senti libre ?
Je me suis senti libre dans le ghetto de Varsovie, quand j’ai rapporté des tonnes de nourriture pour nourrir les gens affamés.
J’étais plus fort que l’ennemi, je me sentais vraiment libre autrement je n’aurais pu survivre.
Enfant, je savais que la fin d’Hitler était sûre, j’étais libre dans ma tête, autrement  je n’aurais pas pu survivre.
Dès 1939 alors que j’avais 17 ans, je savais que la fin allait venir.
Ce sens de la liberté m’a permis de revenir des camps de la mort.
Je dois aussi dire que j’ai eu un camarade qui est mort pour moi, il a été tué devant mes yeux, alors que nous avions été arrêtés. Il était roux et quand il a été tué, j’ai senti l’importance de la liberté.
« Ndlr :extrait de « Au Nom de tous les miens-de Martin Gray
 « : Le jeune homme roux me fait un signe alors que nous passons devant la cantine : il y a des provisions sur une table de bois. Il entre, puis il bondit dehors glissant des harengs dans sa chemise et s’en va avec ses seaux…. Ils vont nous ramener m’a dit le jeune homme roux. On nous a rassemblé s dans la cour, on nous a fait mettre sur deux rangs. L’officier aux yeux blancs s’est avancé à pas lents. Il s’est placé devant moi et j’ai pensé : il veut ma mort.
Il y a un voleur ici a-t-il dit doucement, que celui qui a pris des harengs se dénonce. Il a cinq minutes. C’est lui ou dix d’entre vous.
Et immédiatement il a désigné dix d’entre nous et moi le premier. Il fait si beau ce matin. Ma mère m’attend et je vais mourir sans me battre.
L’officier passe devant nous, il tape joyeusement ses mains l’une dans l’autre.
 C’est moi : Le jeune homme roux est sorti des rangs, il a marché jusqu’à l’officier et il s’est placé devant lui.
C’est moi a-t-il répété.
 Sans doute chacun comme moi dans les rangs, a-t-il senti que son cœur allait éclater. L’officier aux yeux blancs a hésité puis il a lancé son pied dans le ventre du jeune homme aux cheveux roux, qui s’est plié en deux sans un cri.
L’officier a pris une pelle et il a commencé à frapper sur tout le corps et mon camarade dont je ne sais même pas le nom, c’est écrasé dans la neige, les mains sur sa tête, sans un cri.
L’officier a sorti son révolver et a tiré……
La vie était comme çà elle tenait à un mot, elle valait moins que quelques harengs. Nous le savions. »
Une seule personne savait que l’on allait tous mourir, c’était mon ami Boleck. Cent personnes sont parties avec lui.
Qu’avez –vous fait la première année après votre libération ?
« Il ne fallait pas regarder en arrière, quand on regarde en arrière on est mort. On peut se reconstruire même sur des ruines. »
J’ai tenté de créer ma propre vie.
Mon projet était d’aller en Israël au départ, mais ma grand-mère était aux Etats-Unis ainsi que des cousins, j’avais de la famille, elle m’avait peu connu, mais elle était là . Elle était la seule famille qui me restait. J’ai voulu créer une nouvelle vie, une famille. J’ai voulu aussi témoigner et raconter comment c’était à cette époque, car j’avais été obligé au ghetto d’être un patron, je me suis entouré de malfrats qui ont tué pour moi. J’étais obligé d’être leur chef.
En fait j’étais comme mon père. Mon père était un chef né. Il a organisé les soupes populaires dans le ghetto et moi j’ai toujours été ambitieux. J’étais ambitieux et passionné pour ce que je faisais pour eux.
 Dans tout ce que j’ai fait également, j’ai été sculpteur et je voulais transmettre ce qu’était la Shoah par mes sculptures. Au Tanneron, je faisais de sculptures de 10 à 30 tonnes, de plusieurs mètres de haut. C’est cela la pratique de la vie.
Par exemple, en ce moment, je suis en train de créer à Bruxelles un mémorial. La ville m’a donné le droit de le faire, c’est un lieu de 1000m2 sur la mémoire de la Shoah et le maître mot c’est renaître. Car il n’y a rien à Bruxelles, mais les gouvernements ont changé et cela prend du temps.
Vous parlez du Tanneron ?
(Martin GRAY a perdu toute sa famille, sa femme et ses enfants, le 3 octobre 1971 dans l’incendie du Tanneron).
Après le Tanneron, je ne voulais plus vivre, j’étais seul au monde, j’étais effondré. J’avais perdu ma deuxième famille. Je n’avais plus de raisons de vivre, mais en fait, j’ai voulu donner un sens à la mort et un sens à ma vie.
Mes amis ont été très proches de moi.
C’est pour cela que j’ai vécu, je voulais que la  mort de tous ceux que j’aimais  serve à quelque chose, c’est ainsi que j’ai créé la « Fondation Dina Gray ».
Cette action m’a sauvé et m’a propulsé vers le public.
Je donne aux autres et les autres me donnent. Ils m’ont aimé, ils me connaissaient.
C’est comme lorsque je me suis échappé pour dire OUI à l’existence.
Quelle est la phrase, le mot, la musique, la couleur, la personne qui vous a fait tenir dans toutes vos épreuves ?
Ce qui m’a fait tenir c’est mon père. Il a été la colonne vertébrale de ma vie. C’était un homme admirable. C’est lui qui m’a ouvert les yeux. J’ai eu d’autres amis aussi extraordinaires, Arthur Kessler par exemple, avec qui j’ai passé des week-ends entiers de discussions.
Mon père a été aussi le moteur de ma vie.
La phrase qu’il aimait prononcer, sa phrase : »SURVIVRE – BATS TOI – VA JUSQU’AU BOUT » ;
J’ai toujours essayé de vivre en pensant à lui. Qu’est-ce que mon père aurait fait dans cette situation.
Par exemple, en 1936, alors qu’il était à Varsovie directeur et propriétaire d’une usine de gants et de bas et qu’il avait déjà trois enfants, il est parti en Espagne pour se battre contre Franco. Il n’a jamais expliqué pourquoi. il était parti se battre contre le fascisme.
Grâce à cette lucidité de mon père, on a su que le danger était là . On était lucide. Mon père s’appelait Henryk.
Comment considérez-vous votre vie aujourd’hui ?
Ma vie consiste à apporter aux autres la réponse à la question que je me posais lorsque j’étais très bas.
Ma vie consiste à aider les enfants, car sans amour je n’aurais pas pu survivre. Il faut avoir l’amour de tous les autres. J’avais des centaines d’amis, c’est eux qui m’ont aidé à sortir de mon état après le Tanneron. J’ai toujours eu de l’amour dans ma vie.
Pourquoi je vis ?
Je vis pour donner la vie. Pour partager la vie, pour que le monde soit plus fraternel que celui où l’on vit.
J’ai cinq enfants, l’aîné à 32 ans, le plus jeune 17ans et je suis fier de leur avoir donné une façon de vivre. Je suis d’ailleurs grand-père depuis un mois. (Au moment où nous nous quittons, l’un des fils de Martin GRAY l’appelle, ils parlent en anglais et mon interlocuteur souligne que son fils est un conseiller d’un  prince arabe).
Et Dieu alors ?
Dieu où est-il ?
Si Dieu existe, il doit ĂŞtre bon.
 Dieu c’est partager le pain, partager la vie avec les autres.
Et Israël ?
J’ai souffert en étant juif, je suis plus juif que jamais, alors Israël est un exemple extraordinaire de survie.
Et Israël devrait être plus idéaliste que les autres pays, mais il n’y a pas de grandes différences avec les autres pays. Israël a fait beaucoup d’erreurs et Israël n’a pas voulu m’écouter.
Quel est le message que vous voulez transmettre aux jeunes ?
Je n’aime pas le mot message.
Il faut savoir pourquoi on vit. Car quand on sait pourquoi on vit, c’est la partie gagnée.
Conclusion
Martin GRAY est un être exceptionnel et très attachant. Sa vie est davantage qu’ un roman,  c’est une légende , une véritable saga. Il faut absolument lire l’ouvrage intitulé « Au nom de tous les miens » et un de ses autres livres « Au nom de tous les hommes ». Il a prouvé par son existence qu’on pouvait être enfant vivant  dans des conditions horribles, mais  avoir en soi la volonté de survivre et réussir sa vie malgré tout.
Il a eu un modèle : son père.
 Il y a une phrase qu’il a incarné toute sa vie « Bats toi, va jusqu’au bout », mais il est aussi un être d’amour qui sait donner et transmettre.
Commentaire sur le tableau
Ce tableau est un palimpseste .La première couche sous jacente et cachée est  peinte en rouge vermillon, le rouge  du drapeau des SS. Tous les noms des endroits qui ont marqué la vie de Martin Gray y figuraient, , Varsovie, Treblinka, Le Tanneron ,mais aussi New York ,Paris et Biot. La seconde couche faisait intervenir des figures de condamnés et les incendies meurtriers qui ont marqué son existence.  Mais la force du message qu’il veut laisser s’est imposée peu à peu avec les couleurs qui environnent la vie quotidienne de Martin Gray : le blanc , le gris et le noir qu’il affectionne particulièrement.
Regardant son tableau le  jour où je suis venu le lui présenter  il m’adit « Oui c’est cela , vous avez trouvé.. »
La video prise ce jour là à Biot, visible sur ce site donne les détails de cette rencontre.
L’ombre de TreblinkaÂ
L’ombre de TreblinkaÂ
(sources archives, musée de Beit Lohemei Haghetaot, témoignage de Mr Martin Gray)
Le tableau
Ce tableau s’est imposé à la suite de plusieurs rencontres avec Monsieur Martin Gray chez lui à Biot. Différent  des autres tableaux par la taille et la forme (143 x 44 cm) il se présente exceptionnellement comme un kakemono étroit et noir zébré de rouge éteint.
Les cendres recouvrent la surface en concrétions épaisses. Elles occupent la majeure du tableau pour exprimer l’infini questionnement de la mort. Construit avec de la terre,  des sables et des feuilles d’arbres revêtus de pigments noirs et gris, il symbolise  les cadavres exhumés et brulés à la suite de la décision par les nazis de faire disparaitre le camp et  toutes les traces de l’horreur. Ils ne se doutaient pas que la terre restitue encore aujourd’hui les souvenirs non consumés : ossements, papiers et cheveux des suppliciés.
Martin Gray est le seul rescapé interrogé dans cette enquête qui ait été interné à Treblinka. D’autres rescapés comme Madame Renate Harpprecht ou Madame Zelda Sosnowski issues également du ghetto de Varsovie ont été internées à Auschwitz. Son livre « Au nom de tous les miens » décrit en détail les horreurs de ce camp.
Treblinka le camp  (source BLH)
Situé à proximité du village polonais du même nom, à une centaine de kilomètres au nord-est de Varsovie, Treblinka est un camp d’extermination nazi. A l’origine en 1941 il s’est agi  de créer un  camp de travail pour les prisonniers polonais (Treblinka I). Un peu moins d’un an plus tard, le camp d’extermination (Treblinka II) est créé à 2 kilomètres du premier.
Historique
Il faut distinguer plusieurs périodes dans l’histoire de ce camp-1941 création d’un camp pour prisonniers Polonais : Treblinka 1
Matraques et fouets des gardiens Ă Treblinka (source BLH)
-1942 crĂ©ation de Treblinka 2 : camp d’extermination par gaz de moteurs et enfouissement des cadavres dans des fosses. Ce camp d’extermination a l’apparence d’une gare de transit oĂą les Juifs devaient se prĂ©senter Ă la dĂ©sinfection avant de repartir pour un pseudo camp de travail. En effet nul ne devait savoir ce qui se passait dans le camp.
A l’arrivée des trains (source BLH)
Certaines déportations se faisant à l’origine depuis Varsovie dans des trains normaux, les nazis faisaient croire qu’il s’agissait d’un transfert vers des terres libres à l’Est. Les déportés, issus pour la plupart du ghetto de Varsovie, sont menés aux chambres à gaz par les SS et leurs auxiliaires prisonniers soviétiques volontaires. Cependant, la capacité des chambres à gaz est rapidement dépassée.
 Au cours de sa pĂ©riode d’activitĂ©, entre 1941 et 1943 prĂ©s d’un million de dĂ©portĂ©s ont Ă©tĂ© exterminĂ©s, ce qui fait de Treblinka le second centre d’extermination en importance après Auschwitz.
-1943 Le 2 aout 1943 Ă la suite d’une insurrection 100 condamnĂ©s s’évadent. Ils sont repris mais les nazis veulent cacher la rĂ©alitĂ© du camp en organisant sa destruction et la disparition matĂ©rielle des traces de son activitĂ©. Kurt Franz reprend  la direction du camp avec comme mission de dĂ©manteler les chambres Ă gaz ce qui est  fait entre septembre et novembre 1943.  Il faut  surtout faire disparaitre tous les corps entassĂ©s dans le fosses par le feu. Il faut  exhumer des centaines de milliers de cadavres. Les corps sont tous  brĂ»lĂ©s dans de vastes bĂ»chers  qui peuvent atteindre plusieurs mètres de hauteur. Puis la cendre et les scories sont  emportĂ©es hors du camp et dispersĂ©es dans les champs et sur les routes Le but est d’effacer toute trace d’activitĂ© criminelle[] Ă€ la fermeture du camp, tous les Juifs qui y ont travaillĂ© sont  gazĂ©s Ă Sobibor et les corps brĂ»lĂ©s. Une ferme y est implantĂ©e jusqu’Ă l’arrivĂ©e de l’armĂ©e rouge.
Treblinka les buchers de 1943 (source BLH)
Sources
Outre les rares documents d’archives et les dĂ©positions des SS ayant travaillĂ© Ă Treblinka et traduits en justice après guerre, les tĂ©moignages des survivants qui rĂ©ussirent Ă s’enfuir lors de la rĂ©volte du 2 aoĂ»t 1943 permirent d’en savoir davantage sur le fonctionnement au quotidien de ce camp. Ainsi le tĂ©moignage de Martin Gray est prĂ©cieux comme les archives se trouvant au musĂ©e de Beit Lohemei Hagataot (images de BL) du kibboutz Ă©ponyme en IsraĂ«l.
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