Annette Cabelli

2012 - 09 - 01 - Alain Husson-Dumoutier - IMG_2473 final« Volonté »

 

Le chiffre 40637 et le triangle, figurant sur son bras, se trouvent au centre de l’Ɠuvre, enfermĂ©s dans plusieurs carrĂ©s successifs.

Le blanc entoure le chiffre, comme la neige qui tombait sur Birkenau.

« VolontĂ© », est le mot que Annette Cabelli a souhaitĂ© faire apparaitre sur l’Ɠuvre.

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Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre d’Auschwitz

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Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre d’Auschwitz

Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre d’Auschwitz

Capture d’écran 2015-07-05 Ă  19.32.29ANNETTE CABELLI PrĂ©sentation

 

NĂ©e Ă  Salonique (GrĂšce) le 25 Avril 1925

ArrĂȘtĂ©e Ă  Salonique par les Allemands  le 2 mars 1943, dĂ©portĂ©e Ă  Auschwitz. Elle a fait la marche de la mort.

Libérée à Essen par les Russes le 2 mai 1945.

Elle porte sur le bras gauche Ă  l’intĂ©rieur le numĂ©ro 40637

 

Quand vous ĂȘtes-vous sentie libre ?

Nous avons Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s par les Russes le 2 mai 1945. Je suis restĂ©e prisonniĂšre deux ans et deux mois. Je ne crois pas aux miracles, mais Ă  la destinĂ©e. Je vis au jour le jour. Je n’ai jamais Ă©tĂ© libre.

Ma famille est arrivĂ©e Ă  Salonique Ă  la suite de l’expulsion des Espagnols en 1492.

Nous faisions partie de la colonie juive de Salonique et mes parents Ă©taient assez aisĂ©s jusqu‘au moment oĂč mon pĂšre est dĂ©cĂ©dĂ© alors que j’avais 4 ans. La situation a alors changĂ© et ma mĂšre, a dĂ» Ă©lever seule ses trois enfants. Le seul souvenir que j’ai de mon pĂšre :  j’avais 4 ans et les mĂ©decins l’avaient laissĂ© revenir chez nous pour mourir. Il Ă©tait faible et blanc comme un linge.

Ma mĂšre a fabriquĂ© des pantalons pour hommes puis a Ă©tĂ© une « mĂšre  » pour les enfants d’une famille de la haute bourgeoisie grecque


Quand nous avons Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s,  Maman avait 41 ans et mes deux frĂšres 19 ans et 21 ans. Je suis arrivĂ©e Ă  Birkenau Ă  Auschwitz, accompagnĂ©e de mon frĂšre aĂźnĂ© Albert et ma mĂšre, le 2 mars 1943, j’avais Ă  peine 17 ans. Nous  sommes sortis du wagon, affolĂ©s comme du bĂ©tail. Des gens en costumes rayĂ©s nous ont fait descendre ils se taisaient. J’ai tout de suite perdu mon frĂšre et ma mĂšre que je n’ai jamais revue. Concernant mon frĂšre Dino, je sais qu’il travaillait sur un chantier  allemand avant notre dĂ©part. Je ne sais pas , non plus  ce qu’il est devenu.

En sortant du  wagon, dans la nuit, ma cousine Laura m’a appelĂ©e, nous Ă©tions du mĂȘme Ăąge, les SS nous ont mises de cĂŽtĂ©. C’est Ă  ce moment lĂ  que je suis passĂ©e vers la vie et non vers la mort comme la plupart des nĂŽtres. J’ai Ă©tĂ© sauvĂ©e par ma cousine en quelque sorte. Le mĂ©decin du camp, le  docteur Rode, nous a protĂ©gĂ©es toutes les deux pendant un an. Il nous a mises en quarantaine. Il y avait deux camps : un camp de travail et un camp des hĂŽpitaux. Durant un an j’ai travaillĂ© dans un hĂŽpital rĂ©servĂ© aux Polonais. Toute la journĂ©e je devais rĂ©cupĂ©rer les excrĂ©ments et les dĂ©verser Ă  500 m de lĂ . C’est Ă  cette Ă©poque que j’ai attrapĂ© le typhus.

Un jour j’ai rencontrĂ© mon oncle qui travaillait dans les terrassements et c’est ainsi que j’ai pu reprendre contact avec mon frĂšre Albert. Lui, il Ă©tait apparemment Ă  l’abri mais j’ai su qu’il se trouvait dans le pavillon des « expĂ©riences». Je me suis arrangĂ©e pour le faire affecter Ă  l’usine « UNION ». Il a pu ainsi Ă©chapper Ă  la mort mais il n’est pas sorti indemne.

Puis le mĂ©decin a Ă©tĂ© remplacĂ© et j’ai dĂ» quitter l’hĂŽpital. Son remplaçant m’a placĂ©e alors dans un camp de travail mais j’ai rapidement travaillĂ© moi aussi Ă  l’usine « UNION ».

Les prisonniers qui Ă©taient affectĂ©s au « commando Canada » Ă©taient chargĂ©s de trier les biens, de toutes sortes, arrachĂ©s aux victimes. Il y avait beaucoup de trafic. J’ai pu faire passer Ă  mon frĂšre une veste dont les boutons Ă©taient des piĂšces d’or. Ainsi il a pu survivre en Ă©changeant ces  piĂšces contre de la nourriture. Je pouvais le voir tous les jours puisque nous travaillions au mĂȘme endroit.

La marche de la mort

Le 18 janvier 1945 nous sommes partis pour la marche de la mort : une semaine de marche pour commencer, ce fut horrible. !. Puis nous avons pris le train ; il ne fallait surtout pas s’asseoir si on s’asseyait on mourait Ă©touffĂ© par les autres qui s’asseyaient sur vous. On mangeait de la neige. J’entends encore les  gens crier
 Nous sommes allĂ©s jusqu’au camp de RavensbrĂŒck.

La libération

On a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© par les Russes pas loin de Essen  vers RavensbrĂŒck. On Ă©tait un groupe de  5 – 6 femmes. Nous sommes  arrivĂ©es dans une ferme. Il y avait du lard, j’ai Ă©tĂ© prudente, j’ai peu mangĂ©. Certaines sont mortes d’indigestion. Cette ferme regorgeait de nourriture. J’ai pu enfin manger. Je pesais 40 kg !

Il y avait des soldats partout, on a Ă©tĂ© protĂ©gĂ© par un officier russe qui parlait yddish. Il  a  mis un planton devant la porte pour nous garder Ă  l’abri des hommes.

Nous voulions aller du cĂŽtĂ© amĂ©ricain. Nous sommes restĂ©es 15 jours avec les Russes et nous avons trouvĂ© deux Français, un vieux cheval et une traction avant. On a attelĂ© le cheval Ă  la traction et nous avons suivi une autoroute dĂ©serte jusqu’au camp des  AmĂ©ricains. A ce moment, nous Ă©tions 5 femmes et 2 hommes et nous avons  étĂ© recueillis par les soldats amĂ©ricains. C’est lĂ  que j’ai vu un noir pour la premiĂšre fois, il nous a invitĂ©es Ă  danser


Je ne voulais pas retourner Ă  Salonique car j’avais souffert de l’antisĂ©mitisme des grecs. Je parlais français, je voulais aller en France.

Mais lĂ  est arrivĂ© mon futur mari. Il avait Ă©tĂ© au camp de Mauthausen c’était un ami de mon frĂšre. Ils s’étaient rencontrĂ©s aux cours du soir Ă  Salonique oĂč tous les deux Ă©tudiaient la  mĂ©canique. Il s’appelait Harry.

Qu‘avez-vous fait la premiĂšre annĂ©e ?

Nous sommes arrivĂ©s Ă  Paris et nous avons Ă©tĂ© Ă  l’hĂŽtel LutĂ©tia. Harry n’a pas voulu aller en IsraĂ«l avec moi oĂč se trouvait ma famille proche depuis 1933 . Il  m’a menacĂ©e de se suicider si je ne restais pas avec lui. J’étais terrorisĂ©e par lui.

J’ai Ă©tĂ© malade Ă  cause de la nourriture. Mineure, je ne pouvais pas me marier sans l’autorisation du PrĂ©fet, ce qui fut fait  le 20 mai 1946,  j’étais enceinte de mon premier enfant


Nous avons vĂ©cu tous les deux dans une petite chambre sans eau ni gaz ni Ă©lectricité  rue PĂ©tillon Ă  Paris, puis dans une autre chambre rue Popincourt. Mon mari a tout de suite travaillĂ© comme mĂ©canicien dans les machines Ă  Ă©crire. J’avais 20 ans. J’ai commencĂ© Ă  coudre Ă  la maison, je faisais des boutonniĂšres.

Nous vivions dans le 11Ăšme arrondissement, je pensais que la communautĂ© me soutiendrait mais nous n’étions pas  Ă  Salonique !  J’ai Ă©tĂ© trĂšs déçue :

« Chacun pour soi et Dieu pour tous. » C’était leur devise.

La France m’a accueillie, c’est ma patrie contrairement Ă  la GrĂšce qui reste pour moi un pays antisĂ©mite.

Avez-vous souffert dans cette nouvelle vie ?

 J’étais dĂ©pressive. Je ne faisais que pleurer. J’étais enceinte, dans une chambre sans eau ni Ă©lectricitĂ© et mon mari allait voir d’autres femmes.

Je n’ai jamais Ă©tĂ© heureuse car mon mari me battait. Il battait nos enfants Il Ă©tait malade des nerfs,  je ne pouvais pas partir je n’avais pas de mĂ©tier et il aurait pu me tuer. J’ai vĂ©cu 50 ans avec lui et nous avons eu trois enfants. Deux filles et un garçon. Je ne l’ai jamais aimĂ©.

Mon garçon, le dernier enfant, était mon rayon  de soleil mais à 10 ans il a eu un accident de vélo et a développé une tumeur au cerveau .Il est mort.

Ma fille ainĂ©e m’a toujours reprochĂ© de lui avoir  donnĂ© la vie.

Je n’ai jamais eu un moment de bonheur, je me demande pourquoi je suis restĂ©e en vie ?

Jamais je n’ai Ă©tĂ© libre. Je n’ai rien eu dans ma vie.

Mais vos petits enfants ?

Les petits enfants sont des moments de bonheur. C’est le sourire de ma vie. J’ai 3 petits enfants et 2 arriùres petits enfants.

Ma fille aĂźnĂ©e  a souffert de notre mariage. Elle m’en veut. Elle est journaliste, licenciĂ©e en droit. Elle a eu un garçon, JĂ©rĂ©mie qui a 35 ans,  il est froid. MariĂ©,  il est papa de deux enfants.

Ma cadette a un garçon Julien  et une fille Clémence de  trente ans qui vit à Paris.

J’ai vendu ma grande maison de banlieue que nous avions achetĂ© Ă  la sueur de nos fronts mon mari et moi. Mes enfants ont hĂ©ritĂ© de leur part. Je vis ici maintenant.

 Avez-vous un mot une phrase, un chiffre qui vous ait marqué ?

 Oui la  volonté.

Comment considérez- vous votre vie maintenant ?

 Je vis toujours dans le camp


Mon numĂ©ro sur le bras gauche est le  40637. Je n’ai jamais rien eu !

J’ai travaillĂ© toute ma vie quelquefois 20 heures par jour, jour et nuit. Dix ans de travail dans la confection en tant que sous-traitant.  Et je n’aimais pas la couture !

Nous avons souvent Ă©tĂ© exploitĂ©s. Le  pavillon dans lequel j’ai vĂ©cu reprĂ©sente le fruit de  notre travail.

 Maintenant,  j’ai des problĂšmes d’intestin et de santĂ© en gĂ©nĂ©ral.

J’ai fait partie d’associations  Ă  Paris oĂč je retrouvais mes amies du camp oĂč on m’appelait Jeannette.

Ici les associations de sĂ©pharades oĂč je vais ne comprennent pas ce que j’ai vĂ©cu. Les membres se plaignent d’avoir tout perdu en AlgĂ©rie mais ce n’est que du matĂ©riel ! Nous, nous  avons perdu toute notre famille


Conclusion

L’émotion Ă©tant trĂšs forte, Madame Cabelli ne peut pas suivre une pensĂ©e totalement construite. Elle est dĂ©pressive. Les souvenirs viennent lui faire perdre le fil de sa pensĂ©e bien souvent.  On la sent seule avec ses cauchemars et pourtant elle affiche un sourire de douceur et de gentillesse.

Commentaires

Cet entretien a été particuliÚrement difficile en raison de la souffrance exprimée par Madame Cabelli. 

Commentaires de l’Artiste sur le tableau

Le chiffre  40637 et le triangle, figurant sur son bras, se trouvent au centre de l’Ɠuvre, enfermĂ©s dans plusieurs carrĂ©s successifs.

Le triangle est un dessin supplĂ©mentaire qui apparaĂźt Ă  un certain moment sur les bras des hommes et des femmes incarcĂ©rĂ©s Ă  Auschwitz et Birkenau. Il s’agit d’un signe de reconnaissance interne Ă  l’administration allemande.

Le blanc entoure le chiffre, comme la neige qui tombait sur Birkenau.

« Volonté », est le mot qu’elle a souhaitĂ© faire apparaitre sur l’Ɠuvre.

Madame Cabelli a pu voir le tableau en janvier 2011, lorsque je me suis rendu Ă  Nice avec mon ami Bernard Heijblum pour le lui montrer.

Elle était à la fois émue, étonnée et fiÚre.

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       Avec Madame Cabelli le jour oĂč elle a pu voir son tableau Ă  Nice, chez elle.

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                Rencontre au centre Elie Weisel de Nice en février 2014



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