Bernard Orès
« Vivre pour Témoigner »
Le tableau se réfère à un moment extraordinaire de la vie de Bernard orès. Il fallait représenter l’enfermement de trois jeunes gens dans un bunker sous la rue du ghetto alors que la neige recouvrait la ville. Dans le cercle figurant le bunker, trois tiges de métal se croisent, il s’agit de ces trois amis qui ont vécu pen- dant un an sous la terre.
La phrase « Vis pour témoi- gner » figurant entre le blanc et le noir du tableau symbo- lise la vie de Bernard orès.
120x90cm
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz
120x90cm
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz
BERNARD ORES Présentation
Né à Przemysl en Pologne le 18 Novembre 1922.
Arrêté en mars 1944 par les SS, puis transféré à Cracovie en juin.
Condamné à mort, sa peine a été commuée en travaux forcés à perpétuité. Il est envoyé au camp de Mauthausen.
Il est libéré le 5 mai 1945 à Enbensee par les troupes Américaines.
M. Ores se tient très droit. Il est parfaitement habillé, avec une certaine élégance. Il s’exprime avec douceur. L’émotion parfois lui fait précipiter ses paroles. Il regarde l’interlocuteur dans les yeux. Parfois il regarde son épouse. On le sent tendu, précis, analysant parfaitement la situation. Sa mémoire est grande et sélective. M. Bernard Ores a une personnalité attachante, sympathique. Il est précis et cultivé.
Son numéro de déporté est le N° 85522.
Quand vous êtes-vous senti libre ?
Pendant la période au camp de concentration de Mauthausen, j’étais en hibernation comme l’ours en hiver. J’étais étranger, hors de ce monde. J’ai hiberné, y compris pour les coups, lorsque j’ai reçu 25 coups de bâton sur le dos à nu, j’ai dormi sur le ventre. Je n’ai pas pu m’asseoir pendant 15 jours. De même, j’ai hiberné lorsque je transportais des pierres très lourdes et qu’on savait pertinemment que la moitié des prisonniers devait mourir au travail, soit sous les coups, soit en tombant dans le précipice qui bordait le chemin. Un paramètre important de ma vie a été de vivre dans une coquille.
Lorsque j’ai été libéré, j’ai vécu 4 périodes différentes.
La première période, j’ai caché des morceaux de pain un peu partout car j’avais peur qu’on me vole mon pain. Dans les camps, on recevait une miche que l’on coupait en plusieurs morceaux, mais on crevait de faim. On vous volait votre pain.
La deuxième période, j’ai fait des études et je suis devenu ingénieur. J’ai inventé. J’ai même créé des brevets importants dans plusieurs domaines chimiques. J’ai créé certains antibiotiques, mais je suis un très mauvais commerçant.
La troisième période fut celle des cauchemars. J’avais 2 vies : le jour je faisais mon travail, mais la nuit les cauchemars revenaient, l’arrestation, la gestapo qui me courait après. Ma femme peut en témoigner. Je me réveillais, j’étais angoissé, je criais. Cette période recouvre d’ailleurs les deux premières.
Et la quatrième période, c’est lorsque j’ai écrit, à 70 ans, en 1992, je me suis libéré en parlant et en écrivant. Auparavant, j’ai été muet sur cette période de ma vie. C’est là que j’ai commencé à me libérer.
Quel fut votre premier acte quand vous avez été libéré ?
Comme je vous le disais, j’ai fait des études, mais pas tout de suite. J’ai passé mon BAC en Pologne occupée par les russes puis une licence de Sciences. J’ai fait l’Ecole de Chimie de Lyon. Ensuite j’ai travaillé dans l’industrie.
Avez-vous souffert dans cette nouvelle vie ?
Nous avons fondé une famille avec ma femme. Deux enfants sont nés de cette union.
Ma fille qui est entrée dans le cabinet de brevets et de propriété industrielle que nous avons fondé, et mon fils qui est médecin ORL très réputé et nous avons 5 petits-enfants en France, qui sont tous plus ou moins diplômés : Dauphine, médecine, sauf la dernière qui est encore écolière.
Je ne pense pas avoir souffert dans cette nouvelle vie, mais j’ai surtout des souvenirs.
Parmi ces souvenirs, l’un d’entre eux m’a beaucoup marqué. C’est lorsque nous sommes revenus dans ma maison en Pologne, 80 ans plus tard, mes enfants et ma femme étaient avec moi. Lorsque j’avais 7 ans, mon père m’avait demandé de fixer avec un clou la mezouza dans le chambranle de la porte de notre domicile. 80 ans plus tard, la mezouza avait disparu, mais la trace y était encore. C’était très émouvant.
Et parmi mes souvenirs aussi, il y a cette mère de famille avec un bébé dans les bras, dans le ghetto, le bébé a pleuré, puis il est mort. Elle berçait un bébé mort… Cette vision est atroce. Vous devriez présenter ce tableau, vous qui êtes peintre !
Il y a aussi ce souvenir, le jour de Noël 1944, on crevait de faim, mais tous les prisonniers français ont chanté pendant 2 heures les chants de Noël. On mourait de faim et de soif mais ce 24 décembre 1944, tout n’était pas mort.
J’ai aussi ce souvenir de ce Général russe que les SS ont amené au milieu du camp par -15°C, nu, et attaché et sur lequel ils ont versé de l’eau qui a gelé sur lui et il se transformait en bloc de glace. On le voyait à l’intérieur du bloc. Quand je suis retourné à Mauthausen plus tard, un monument lui était dédié. Mais ce souvenir ne s’éteint pas.
Avez-vous un mot une phrase, un chiffre qui vous ait marqué ?
Non, je n’ai pas de phrase ou de chiffre en tête. J’ai simplement la volonté de survivre et de témoigner. Tous les gens qui sont morts autour de moi avaient un dernier mot. C’était : « Dis ce qui s’est passé, vis pour témoigner ». Et malgré cela, j’ai été muet pendant de nombreuses années. Quand je suis allé en Italie après, j’ai essayé de parler, mais personne ne m’a cru. Je me suis tu pendant très longtemps. Je ne parlais pas parce qu’on ne me croyait pas, et en même temps parce que cela ne m’était pas possible de dire.
Comment considérez- vous votre vie maintenant ?
« Je crois que je suis arrivé à quelque chose, mais j’ai encore le souvenir des autres. »
Après la liquidation du ghetto, j’avais 17 ans, j’étais avec 2 amis dans un bunker et on a pu vivre un an , jusqu’en mars 1944, cachés en sous-sol en récupérant l’eau de pluie et nous avions des réserves de farine. On pouvait survivre. Et moi j’écrivais tous les jours sur un cahier ce que je ressentais, ce que je vivais. Lorsque nous avons été découverts par SS, mes 2 camarades ont été tués immédiatement, et moi j’ai été sauvé par ce cahier que j’avais sous le bras. Il était écrit en polonais.
Ce cahier relatait un épisode précédent où des ukrainiens, auxiliaires des SS, nous avait découverts, mais soudoyés par moi et mes amis avec de l’argent que nous avions et des victuailles, ils nous avaient laissé la vie sauve.
Evidemment, je ne les ai jamais dénoncés, même lorsque je les ai reconnus, lorsque la gestapo qui me promenait de caserne en caserne pour les reconnaitre, m’a mis en leur présence dans l’une de ces casernes.
Nous avions été découverts par les Ukrainiens. En fait, parce que la chaleur dégagée par notre bunker où nous vivions avait fait fondre la neige et cela avait attiré leur curiosité.
Le ghetto a été progressivement supprimé par les Allemands par l’intermédiaire de ce que l’on appelait des « actions ». Il s’agissait en fait d’éliminer le ghetto au cours d’opérations de l’armée allemande programmées. »
Ces trois jeunes ont été dénoncés par des polonais qui recevaient 1 kilo de sucre par juif dénoncé. Le cahier que Bernard Ores avait écrit durant cette période l’a sauvé. Ses 2 amis ont été exécutés par les allemands immédiatement et son cahier a été traduit pour que les ukrainiens qu’il avait sauvés puissent être découverts. En juin 1944, il a été transféré à Cracovie pour être jugé. Il a été jugé dangereux, condamné à mort puis gracié par le juge allemand. Sa peine a été commuée en travaux forcés à perpétuité. Il a été alors envoyé au camp de Mauthausen.
Dans ce camp de concentration où se trouvaient de nombreux français, il a été placé dans un commando disciplinaire pendant 15 jours où il devait porter des pierres très lourdes sur 182 marches puis suivre un précipice très dangereux.
Et c’est dans le commando de travail de Melk qu’il a reçu 25 coups de bâton.
Quelques jours avant la libération du camp, Il avait été transféré à Ebensee dans les Alpes autrichiennes et c’est là que les Américains l’ont libéré le 5 mai 1945.
Ce jour là il ne s’était pas précipité sur la nourriture comme beaucoup d’autres, ce qui lui a sauvé la vie car presque tous sont morts d’indigestion. Libre, il est allé au soleil. Des larmes de joie lui coulaient sur le visage. Il pesait 30 kilos. Il avait 23 ans.
« Mais cet épisode m’a marqué. Je me souviens aussi de l’assassinat de mes 2 amis. »
Je me souviens aussi d’un autre ami, mon meilleur ami, qui dans le ghetto avait acheté un pistolet, avait tiré sur un allemand sans le tuer d’ailleurs, et a été exécuté. J’ai en fait conservé un peu de honte de ne pas avoir été comme lui. J’ai vécu.
Pourquoi j’ai vécu ? Pourquoi mon père est mort, ma mère, mes 2 sœurs, 1 nièce ? Peut-être aurais-je du faire un autre chemin ? »
Quel message pouvez-vous et voulez-vous laisser aux jeunes ?
« J’ai été à un moment le camarade de lit, puisqu’on dormait sur le même châlit, du Révérend-Père Riquet. Il était prêtre, et nous parlions souvent ensemble. Et j’ai beaucoup lu les livres sacrés : Torah, Nouveau Testament et Coran et mon sentiment est le suivant : Dieu est unique, il est à tous.
S’il y a un Dieu, il est Un.
La seconde phrase pour moi, c’est toute l’humanité a le même ADN.
Et ceux qui suivront les 7 Commandements noachides[1] iront au paradis, et ça c’est la loi juive, même s’ils ne sont pas juifs. »
Conclusion
Les souvenirs et l’émotion étant très forts, Monsieur Ores ne peut pas suivre une pensée totalement construite, ni parfaitement logique. Il revient souvent sur des moments de cette période et ces 4 années oblitèrent encore les années postérieures. La présence de sa femme le rassure et le calme. Sa grande intelligence le conduit à parfois distancier le sujet et la souffrance. Il lit beaucoup et s’intéresse énormément à différents sujets.
Commentaires de l’Artiste sur le tableau
-Sa construction
La problématique reposait sur l’interprétation d’un moment extraordinaire que Mr Ores avait vécu .En effet, enfermé pendant un an dans un bunker sous la rue avec ses deux amis, il fallait représenter l’enfermement dans le noir de la terre alors que la neige tombait sur la ville.
Le charbon qui a servi à la fabrication du tableau était lourd, imposant. Il a fallu utiliser une planche de bois pour supporter de telles charges, ensuite l’œuvre a été fixée sur la surface. La phrase« vivre pour témoigner » figure dans la partie intermédiaire entre le blanc et le noir.
Enfin, dans le cercle figurant le bunker, trois tiges de métal se croisent, il s’agit des trois jeunes gens qui ont vécu pendant un an sous la terre. La tige centrale est celle représentant Monsieur Orès.
–La visite
Le 23 décembre 2010 Monsieur et Madame Ores viennent voir le tableau réalisé d’après le témoignage de Monsieur Ores. Ils arrivent à 18 heures et repartent à 19h30. Je présente le tableau dans le salon éclairé par une seule lampe.
Monsieur Ores reste pendant plusieurs minutes sans parler. Il reste en pleine concentration devant le tableau ce qui inquiète son épouse qui le sait fragile du cœur. Puis il prend la parole d’une voix sourde et parle sur le Roi Salomon. Un jour Dieu demanda au Rois Salomon ce qu’il désirait : la gloire ,la fortune ,le bonheur ? Le Rois Salomon répondit: »Plutôt que tous ces biens , je désire l’intelligence du cœur ». En regardant le tableau Mr Ores me dit « Monsieur, vous avez l’intelligence du cœur. » Sa femme me dira plus tard que c’est la seule fois qu’elle l’entendit prononcer un tel compliment Puis, à sa demande je montre successivement les œuvres réalisées sur :
Victor Pérahia, Isabelle C, Charles Baron, Gisele Mandelman, Francine Christophe et enfin Mme Cabelli (le chiffre). Nous apprenons que le chiffre marqué sur le bras de Mr Ores est 85522. Au cours de la conversation Mr Ores dit le jour où il a été libéré il faisait très beau et au lieu de se précipiter sur la nourriture il s’est écarté et a pleuré : sur lui, sur les gens qu’il aimait sur sa ville et sur Dieu. Dieu n’est pas tout puissant.
Monsieur Ores devant son tableau à l’UNESCO le 27 janvier 2014
[youtube]http://youtu.be/wAfDG2KYIqQ[/youtube]
[1] Liste traditionnelle des sept lois noachides ou noahides
- d’établir des tribunaux,
- de l’interdiction de blasphémer,
- de l’interdiction de l’idolâtrie,
- de l’interdiction des unions illicites,
- de l’interdiction de l’assassinat;
- de l’interdiction du vol,
- de l’interdiction d’arracher un membre d’un animal vivant.