Bracha Karvasser
« Incendie de Varsovie »
Ayant assistĂ© Ă lâincendie de Varsovie, de lâautre cĂŽtĂ© du mur qui avait Ă©tĂ© dressĂ© par les Allemands, Bracha a pu voir un jour un ss jeter une enfant dans le brasier sous les yeux hallucinĂ©s de sa mĂšre. Il y a dâailleurs prĂ©cipitĂ© la mĂšre ensuite.
Le tableau retrace lâincendie de Varsovie, dans ses jours les plus durs et les plus violents.
Je me suis interdit de reproduire en dĂ©tail lâhorreur de la scĂšne Ă laquelle a assistĂ© Bracha, mais les ombres permettent dâĂ©voquer les Ă©vĂ©nements. Il fallait mettre en valeur la puissance de la couleur rouge, car si elle est la couleur de lâincendie, elle est aussi celle du sang et de la vie.
120x90cm
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre dâAuschwitz
120x90cm
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre dâAuschwitz
BRACHA KARVASSER Présentation
NĂ©e le 12 septembre 1925 Ă Berwinous (Pologne)
ArrĂȘtĂ©e par les Allemands Ă Varsovie, elle  nâest pas considĂ©rĂ©e comme juive, grĂące Ă ses yeux verts. Toute sa famille a Ă©tĂ© exterminĂ©e Ă Auschwitz.
A lâarrivĂ©e des Russes le 15 janvier 1945 Ă Varsovie, elle est sauvĂ©e de la mort par un juif russe.
Arrivée en Israël le 9 février 1951,Bracha vit  actuellement à Haïfa.
Quand vous ĂȘtes vous sentie libre ?
Une minute avant la mort.
Cela veut-il dire que vous nâĂȘtes pas encore libre mĂ©taphysiquement, mais sur le plan pratique ? Humain ?
Alors je dois dire que je me suis sentie libre quand je suis sortie du ghetto de Varsovie, le 17 avril.1943. Le ghetto a commencĂ© Ă brĂ»ler le 19 avril, câĂ©tait la fin.
JâĂ©tais dans le ghetto avec mes grandes sĆurs, la premiĂšre Ă©tait plus ĂągĂ©e que moi de 6 ans, la seconde de plus de 4 ans. Jâavais lâintention de revenir pour le 19 avril car câĂ©tait Pessah. Je viens dâune famille trĂšs religieuse. Mes parents Ă©taient partis pour Treblinka en 1942.
Quand jâai voulu revenir le 19 avril, le ghetto Ă©tait un enfer. Je me suis dit que puisque nous Ă©tions dans un bunker depuis le 18 janvier, je ne mourrai pas Ă©touffĂ©e dans la terre, mais que les Allemands devraient dĂ©penser quelques balles pour me tuer.
Je suis alors allĂ©e voir un ami de mon pĂšre , Ludwig, qui mâa dit « Tu nâas rien Ă perdre, je vais te prĂ©parer un document qui justifiera que tu nâes pas juive mais polonaise. »
Il a ouvert le journal et a vu quâune famille allemande de Varsovie, cherchait une aide mĂ©nagĂšre et il a dit : « Vas-y ! On ne pourra pas imaginer que tu te mettras spontanĂ©ment dans la gueule du loup ».
Jâai tĂ©lĂ©phonĂ©, ils mâont dit de venir, câĂ©tait le directeur des juges du Tribunal. Sa femme avait une cafĂ©tĂ©ria Ă lâintĂ©rieur du Tribunal, en face du ghetto et un mur de 3 mĂštres de haut couvert de morceaux de verre nous sĂ©parait.
On voyait tout ce qui se passait dans le ghetto.
Je prĂ©parais les repas et le 19 avril, jâai vu que tout flambait.
le ghetto de Varsovie en flammes images dâarchives
NDLR sa voix devient sourde, sa diction est coupĂ©e de silence, Madame Bracha Karvasser est saisie dâune grande Ă©motion.
« Pourquoi une mĂšre doit-elle subir la vision de sa fille brĂ»lĂ©e vive ? Jâai vu le corps dâune jeune fille sâenflammer⊠CâĂ©tait insupportable. La mĂšre criait trĂšs fort et sa fille tentait de la raisonner en la prenant dans ses bras, câest alors quâun Allemand lâarracha et la jeta dans le brasier. Jâentendrais toujours ses cris âŠ.
Puis les Allemands les ont tous tués et jetés dans les flammes.
Je suis lĂ bas en face, juive et je vois tout et je suis comme une pierre et jâai eu alors cette phrase en moi qui mâa fait tenir toute ma vie : je suis obligĂ©e de vivre pour pouvoir raconter, pour que le monde sache ce que jâai vu. Et de fait, jusquâĂ lâannĂ©e derniĂšre, jâai accompagnĂ© des groupes de jeunes en Pologne mais Ă prĂ©sent je suis fatiguĂ©e. »
Que ce passe t-il aprÚs ?
Je suis chez cet Allemand et un Polonais mâa repĂ©rĂ©e. Il mâa dĂ©noncĂ©e Ă la Gestapo. On est en aoĂ»t 43. On mâa emmenĂ©e au deuxiĂšme Ă©tage de la salle 202 et un officier de la Gestapo mâa interrogĂ©e en allemand. Je fais semblant de ne pas comprendre. Un traducteur est arrivĂ©. Ils mâont posĂ© toutes sortes de questions sur la religion chrĂ©tienne. Or, comme je nâĂ©tais pas allĂ©e Ă lâĂ©cole juive mais Ă lâĂ©cole locale et que jâavais des cours de catĂ©chisme deux fois par semaine et jâai pu bien rĂ©pondre aux questions. Toutefois, je me suis trompĂ©e Ă un moment donnĂ© , sur la priĂšre, au moment oĂč on reçoit la communion. Le Polonais lâa remarquĂ©, mais lâAllemand lui a demandĂ© de sortir.
Puis les questions sont venues :
OĂč sont tes documents ? Car jâavais des documents polonais au nom de Helena ZALECHINSKA. OĂč habites-tu ? OĂč travailles-tu ?
Je leur ai donnĂ© lâendroit oĂč je travaillais. Ils ont appelĂ© au tĂ©lĂ©phone et on a rĂ©pondu en allemand. Il a alors compris et il mâa dit
« Pourquoi nâas-tu pas dit tout de suite que tu travaillais chez des Allemands ? »
Et je suis retournĂ©e alors sur mon lieu de mon travail, nĂ©anmoins cet Ă©pisode a rĂ©ussi Ă semer le doute dans lâesprit de ma maĂźtresse qui mâa dit :
« Tu as le nez un peu long »
Et jâai rĂ©pondu : « Comme toi ».
La maĂźtresse a cependant remarquĂ© que jâallais tous les dimanches Ă la messe, et comme jâĂ©tais importante pour eux, ils mâont fait faire un papier rose disant que jâĂ©tais fondamentale pour le Reich.
Mais fin décembre 1943, une femme vient avec des bidons de lait à la maison et me reconnaßt. « Ah tu es là  ! » me dit-elle
J’ai compris alors que jâallais ĂȘtre repĂ©rĂ©e et Ludwig mâa dĂšs lors trouvĂ© un autre travail de lâautre cĂŽtĂ©, chez un couple avec un jeune enfant.
Je nâai jamais Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e, mon ange gardien Ă©tait Ludwig.
Quel est le moment le plus important que vous ayez vécu dans votre existence ?
Le 1er août 1944.
La rĂ©volte polonaise Ă©clate Ă Varsovie. AprĂšs deux mois de combats, le 1er octobre, les Russes se trouvent de lâautre cĂŽtĂ© de la riviĂšre. Toutes les personnes ĂągĂ©es sont envoyĂ©es dans le Sud de la Pologne et les jeunes ont Ă©tĂ© expĂ©diĂ©s en Allemagne prĂšs de Breslau dans des camps de travail forcĂ©.
Je me retrouve pour ma part à Brig en Allemagne dans un de ces camps de travaux forcés avec des ukrainiennes, on y travaillait à la maintenance de chemins de fer.
DĂšs que la rumeur de lâarrivĂ©e imminente des Russes se rĂ©pand, en fĂ©vrier 45, câest la dĂ©bĂącle totale cĂŽtĂ©Â allemand et nous en profitons alors pour fuir. Nous trouvons refuge dans des bains publics. La premiĂšre chose que veulent les Russes en arrivant câest violer les filles !
Jâavais du cyanure sur moi pour le cas oĂč jâaurais Ă©tĂ© prise.
Par ailleurs, jamais je nâai Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme juive car jâavais les yeux vertsâŠ
Un officier russe me prend, me dĂ©shabille de force, il me chope par derriĂšre et me traite dâespionne car dans la lutte, je fais tomber mon cyanure.
Je pleure toutes les larmes de mon corps et lui dis : « Je mâappelle Bracha et je suis juive ». Puis, il y a alors un grand silence, trĂšs Ă©tonnant.
Pourquoi ne me tue-t-il pas ?
Je lĂšve la tĂȘte et je le vois en train de pleurer comme un enfant et il me dit en yiddish : « Je suis un juif de Vilna ».
Je lui demande de me rendre lâampoule de cyanure car je nâai aucune envie de vivre, ni nulle part oĂč aller, je nâai plus personne et veux seulement revoir tous mes morts.
Il me dit alors : « Tu nâas pas le droit de mourir, tu dois vivre ! ».
Il sâappelait Michka SLOMENSKI.
Je lâai perdu de vue, je nâai pas su pendant trĂšs longtemps ce quâil Ă©tait devenu. Mais je lâai cherchĂ©.
Ainsi, un jour, en 1997, jâai passĂ© une annonce dans le journal pour le retrouver.
Peut-ĂȘtre avait-il fait son alya, ? Avait-il immigrĂ© en IsraĂ«l ?
Je reçois alors un appel tĂ©lĂ©phonique dâun homme qui me demande de lui dĂ©crire Michka. Je le lui dĂ©cris et il me dit : « CâĂ©tait mon pĂšre ! Mais il est mort il y a un an et est enterrĂ© en IsraĂ«l, Ă Kyriat Motskin, prĂšs de HaĂŻfa. »
Nous sommes depuis devenus son fils et moi trĂšs proches jusquâĂ prĂ©sent.
Quel est le mot, la phrase, la couleur, la musique, la personne qui vous a fait tenir durant toute votre vie ?
Toute ma vie, jâai voulu ĂȘtre expert comptable et quand je suis venue en IsraĂ«l, jâai suivi des Ă©tudes dans ce sens et suis donc devenue expert comptable diplĂŽmĂ©e.
Comment  considĂ©rez-vous votre vie aujourdâhui avec le recul ?
Je nây changerai rien. Jâai deux enfants, six petits enfants et six arriĂšre-petits enfants.
Quelle est votre position vis à vis de la religion juive puisque vous aviez des parents trÚs religieux ?
Je garde la tradition. Mon mari savait quâil y avait des chandeliers de shabbat dans la maison de famille enterrĂ©s quelques part mais on ne savait pas oĂč.
Et Ă la Toussaint en novembre, nous les avons cherchĂ©s, nous les avons trouvĂ©s et il les a dĂ©terrĂ©s. Il y avait dâailleurs aussi des piĂšces dâor et des couverts de Pessah.
Depuis, tous les vendredis, jâallume les bougies de shabbat et dans mon testament je les transmettrai Ă ma fille qui les transmettra Ă la sienne.
 à lâentrĂ©e du Kibbouz Beit Lohamei Haghetaot au nord dâIsraĂ«l
Alors quelle âest votre position par rapport Ă Dieu ?
Je suis fataliste. Je crois au destin, Ă la destinĂ©e des hommes, de lâHomme.
Les individus naissent prĂ©destinĂ©s. Je nâai pas peur de la mort.
La mort, ce nâest pas grave. A la fin, on ne souffre plus.
Quand ĂȘtes-vous arrivĂ©e en IsraĂ«l ?
Le 9 février 1951 avec mon mari et notre enfant de 4 ans.
Nous Ă©tions restĂ©s en Pologne. Notre fille dâailleurs est nĂ©e de deux rescapĂ©s de la Shoah, elle pesait 1,5 kg et aujourdâhui (prĂ©cise-t-elle en souriant) elle suit sans arrĂȘt des rĂ©gimes !
Avez-vous souffert du racisme des Polonais aprÚs la guerre ?
Mon mari était assez riche. Nous avons reçu une lettre anonyme et nous avons alors décidé de vendre sa maison, mais cela a pris un certain temps.
Jâai quittĂ© la Pologne. Je nâai plus de famille en Pologne, je suis seule.
Une des mes sĆurs a Ă©tĂ© assassinĂ©e Ă Auchwitz, quelquâun lâa vue an 1943.
Mon autre sĆur a Ă©tĂ© envoyĂ©e aux travaux forcĂ©s Ă MaĂŻdanek comme Polonaise et y a Ă©tĂ© vue par un autre groupe de polonais, mais on ne lâa jamais retrouvĂ©e. Toute ma famille a Ă©tĂ© dĂ©cimĂ©e.
Comment considĂ©rez-vous aujourdâhui IsraĂ«l ?
IsraĂ«l est ma mĂšre. Jâouvre les yeux et je vois le soleil et la vie. Je suis heureuse dâĂȘtre ici et je suis chez moi.
Quand on a une mĂšre, mĂȘme si elle ne vous embrasse pas, on lâaime quand mĂȘme. IsraĂ«l est ma mĂšre.
Quel est le message que vous voulez transmettre aux jeunes ?
Vivre le prĂ©sent, ne pas oublier le passĂ©, essayer de transformer le futur. Ceci est issu dâun poĂšme de Adam Asni, poĂšte polonais du XVIIĂšme siĂšcle et je partage ces mots.
Conclusion
LâintensitĂ© du dialogue est forte. Mme Karvasser parle beaucoup, elle entre dans les dĂ©tails et a posĂ© une question assez particuliĂšre au tout dĂ©but, quâelle a rĂ©pĂ©tĂ©e avant dâentamer lâentretien proprement dit : « Faut-il dire la vĂ©ritĂ©Â ? ».
La rĂ©ponse ayant Ă©tĂ© affirmative, lâentretien a pu commencer.
les deux musées de Beit Lohamei Haghetaot : le musée des combattants et  le musée Yad Layeled
Commentaires de lâArtiste sur le tableau
Ayant assistĂ© Ă lâincendie de Varsovie, de lâautre cĂŽtĂ© du mur qui avait Ă©tĂ© dressĂ© par les allemands, elle a pu voir un jour un SS prĂ©cipiter une enfant dans le brasier sous les yeux hallucinĂ©s de sa mĂšre. Il a dâailleurs prĂ©cipitĂ© la mĂšre ensuite.
Le tableau retrace lâincendie de Varsovie, dans des jours les plus durs et les plus violents.
Mais lâhorreur de la scĂšne Ă laquelle a assistĂ© Bracha Karvasser nâest pas produite dans le tableau,  je me le suis interdit, car je ne voulais pas que cette horreur soit inscrite dans lâĆuvre.
Il fallait donner en revanche, le sens de la force de la couleur, car le rouge sâil est la couleur de lâincendie est aussi celle du sang et de la vie.
les deux amies inséparables Bracah Karvasser et Dora Sternberg