Denise Holstein

2014 - 01 - 18 - Alain Hussou-Dumoutier - _MG_7889-Modifier« Amour de la vie »

 

Quand Denise Holstein, âgée de 16 ans, sort du wagon avec les enfants un homme lui dit : « ne prends pas d’enfant dans les bras, pense à toi et c’est tout ».

Mais elle voit une petite fille isolĂ©e pleurant sur le bord du quai avec sa poupĂ©e dans les bras. Alors qu’elle commence Ă  lui parler, le mĂŞme homme les sĂ©pare brutalement en lui disant « Qu’est-ce que je t’ai dit? n’approche pas des enfants… » .

Tous les enfants étaient gazés et brulés à leur arrivée à Auschwitz.
Le tableau montre la tentative désespérée de la jeune fille vers l’enfant au dessus des rails de chemin de fer.

120cm X 89 cm

Huiles et sables des plages du débarquement, terre d’Auschwitz sur toile

Huiles et sables des plages du débarquement, terre d’Auschwitz sur toile 

Huiles et sables des plages du débarquement, terre d’Auschwitz sur toile 

Capture d’écran 2015-07-07 à 17.28.39Denise HOLSTEIN Présentation

 

Née à Rouen le 6 février 1927

Arrêtée avec ses parents à Rouen le 15 janvier 1943, déportée le 31 juillet 1944 depuis Drancy à Auschwitz, libérée par les troupes britanniques le 15 avril 1945 à Bergen Belsen.

Madame Holstein est auteur de plusieurs livres. Son témoignage sur la déportation s’intitule < Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz > Edition n°1

Numéro de déportée : A 16727

Présentation

Madame HOLSTEIN est remarquablement jeune pour son âge. Elle est mince, de taille moyenne, le visage ouvert, souriant, les yeux pétillants. On la sent vive, dynamique et décisionnaire. Une force intérieure l’anime. Elle habite une résidence de qualité sur les hauteurs d’Antibes. Son appartement, le plus élevé de la résidence, vaste et meublé avec goût, offre une vue magnifique sur Cannes et les Iles de Lérins.

L’entretien se déroule au soleil couchant dans la véranda, il règne une certaine harmonie avec cependant quelques moments d’émotions intenses.

La fin de l’entretien nos permet de découvrir qu’elle est amie avec Madame Régine Jacubert (figurant dans les entretiens ) qui était avec elle à Auschwitz-Birkenau .

Quand vous êtes-vous sentie libre ?

-L’arrestation

Je dois parler d’abord de mon arrestation.

En janvier 1943 tous les juifs de Rouen sont arrêtés. Je pars avec mes parents à Drancy où j’ai fêté mes 16 ans. Mais je suis atteinte de la scarlatine et les Allemands m’ont mise dans un hôpital. Je quitte mes parents le 10/02/1943, je ne les reverrai plus.

Ma grand-mère a fait alors des démarches et j’ai été placée à Louveciennes dans un camp de vacances pour enfants et j’y suis devenue monitrice car j’étais la plus grande.

Mes parents étaient emprisonnés à Drancy, mon père était chirurgien-dentiste. Dans ce camp de Drancy mon père était important et ma mère s’occupait du linge à nettoyer et en profitait pour faire passer des lettres dans les ourlets. Les prisonniers ont fait un tunnel pour s’évader qui a été découvert. Le 20 /11/1943, il y a eu un convoi spécial en représailles et ma mère avait été sélectionnée.

Mon père est intervenu pour qu’elle ne parte pas. Les Allemands lui ont demandé en échange de les accompagner lors des rafles de juifs. En effet, lors des rafles, des juifs portant l’étoile se présentaient en premier avant les Allemands pour inspirer confiance.

Il a refusé. Il est donc parti avec ma mère le 20/11/1943 ;

En ce qui me concerne, je suis partie le 31/07/1944 avec des enfants qui n’étaient pas « les miens. »

Dans le wagon il y avait 48 enfants et 12 adultes. Nous avons mis trois jours pour arriver dans une chaleur épouvantable, il y a eu 2 arrêts seulement pour vider les cuves. Je m’occupais des enfants avec un étudiant en médecine. J’avais un brassard avec une croix rouge.

Quand nous sommes arrivés et que les wagons ont été ouverts tous les enfants dormaient j’étais parvenue à les calmer. Il y avait un calme complet dans le wagon.

Nous avons entendu hurler. Un homme , en tenue de bagnard m’a dit : « Laisse les enfants de côté. Ne prends  pas d’enfants dans les bras, pense à toi et c’est tout ». Je n’ai pas compris pourquoi et nous avons avancé jusqu’au bout du quai. Et là, j’ai vu une petite fille toute seule qui semblait perdue et pleurait. J’ai voulu lui donner la main. L’homme à la tenue rayée est venu me dire brutalement : « Qu’est-ce que je t’ai dit, ne lui donnes pas la main, laisse-la !! ».

Cet homme m’a sauvé la vie.

NDLR : tous les enfants et les vieillards étaient gazés dès leurs arrivées.

-La Liberté.

Je me suis sentie libre A Bergen-Belsen le 15 avril à midi, quand les Anglais nous ont libérés. On entendait depuis un certain temps des coups de feu, et on a vu les allemands qui se sont rendus en portant des brassards blancs. On a entendu les hauts parleurs dire dans toutes les langues que nous étions libres. L’horreur était indicible. Depuis quatre jours nous n’avions ni à boire, ni à manger, nous étions couverts de poux et j’avais le typhus. Je ne sais pas ce qui était le plus horrible de la soif, de la faim ou des poux. Mais je crois que c’est la soif. La soif rend fou.

Toutes les personnes autour de moi étaient mortes, je ne pouvais littéralement plus bouger. J’avais 18 ans. Mais j’ai quand même eu, je ne sais pas  comment, le courage de me lever.

J’étais trop faible pour manger mais je priais pourtant tous les soirs.

Qu’avez-vous fait la première année ?

On voulait me mettre à l’hôpital, j’ai refusé, car je craignais de ne pas pouvoir rejoindre la France. Je suis restée 6 semaines à Bergen Belsen dans les casernes, il nous était interdit de rentrer en France , à cause du typhus.

On nous a pris tous nos vêtements pour les nettoyer. Nous étions couvertes de poux. On nous les a rendus plus tard, une fois passés au DDT, nous étions tellement déçues d’être obligées de les remettre. Il n’y avait plus de lentes, mais nous avons continué à nous gratter.

Nous avons reçu une carte d’identité militaire. Nous avons pu sortir du camp pour aller chercher à manger. Les Anglais n’avaient plus rien à nous donner. J’ai vu des gens s’entretuer pour manger, heureusement j’ai horreur du lait, ce qui m’a sauvée. On allait dans les fermes chercher à manger, mais les Allemands ne donnaient rien, ils se plaignaient. Un jour pourtant alors que nous étions en train de demander à des fermiers de quoi manger, ceux-ci nous affirmaient qu’ils n’avaient rien, mais un officier a ouvert la porte de la cuisine et nous avons pu manger l’omelette qui les attendait.

On m’a affecté une chambre au 2ème étage de la caserne. Mais j’étais tellement faible que j’ai dû monter les marches une à une en étant assise.

On savait que les familles étaient au courant de notre libération. Car des Français étaient emprisonnés au Stalag 11B proche du camp. Parmi ceux-ci l’un d’entre eux  a porté une lettre à ma grand-mère maternelle qui habitait Paris. Elle était donc informée de mon existence.

Le 8 mai, dans les casernes on a entendu les mitraillettes tirer et j’ai eu peur que les Allemands reviennent, mais c’était la libération, les soldats jetais leurs calots en l’air. On chantait tous. Une fille dansait.

Un jour, un officier du rapatriement nous a dit « Vous rentrez demain ».On n’y pas cru, mais le lendemain  nous sommes parties en camion de Bergen-Belsen. Après plusieurs jours de voyage à travers l’Allemagne et la Belgique, nous avons pris le train à Valenciennes,. Nous avons dormi par terre. J’avais 18 ans, mais je pesais 35 kgs, j’avais les cheveux coupés, j’avais l’air d’une gamine. Un officier m’a dit, « Holstein, j’ai vu un homme qui s’appelle Holstein qui est rentré ! ».

 Un espoir fou m’a pris, j’ai pensé que c’était mon père et pendant trois jours j’étais bouleversée à l’idée de revoir mon père que j’aimais tant.

Nous sommes arrivées à Paris, là je ne suis pas allé au Lutétia, comme il nous était demandé . J’ai dit que ma grand-mère habitait à côté et que je viendrai au Lutétia le lendemain. Ma grand-mère vivait avec mon arrière-grand-mère  rue de Châteaudun où je suis arrivée à 3H00 du matin.

Mon espérance était totale quand je suis arrivée rue de Châteaudun, je croyais que je retrouvais enfin mon père…  Je ne pouvais pas penser qu’il s’agissait de  mon frère.

En effet, mes parents avaient voulu que mon frère échappe au S .T.O et l’avaient fait partir en zone libre. C’est lui qui était revenu. Ma déception fut affreuse.

Pourquoi étiez-vous si déçue ?

Parce-que j’adorais mon père et je n’ai jamais eu cet amour pour mon frère. Il ne s’est jamais intéressé à mon sort même après mon retour. Il était le préféré de ma mère, j’étais l’enfant chéri de mon père. Il n’a jamais voulu écouter ce que j’ai vécu, il n’est pas venu voir le film dans lequel je paraissais, il n’a pas lu mes livres.

Et après qu’avez-vous fait ?

J’avais la diarrhée 15 fois par jour, je ne pouvais rien faire, j’étais très très malheureuse. Ma grand-mère était gentille, mon arrière-grand-mère épouvantable. Comme j’étais très malade, je suis allée voir un professeur qui m’a dit : » Ma pauvre petite, vous serez malade toute votre vie !». Ma grand-mère m’a fait apprendre la dactylo, puis je suis allée travailler dans une maroquinerie pendant deux mois, pour être vendeuse et un beau jour j’ai trouvé une dame qui faisait du tricot. J’ai travaillé pour  elle. J’allais porter le fils à teindre. On m’a proposé de passer le bac, on m’a dit : « Vous l’aurez car on le donne aux rescapés ».Je n’ai pas voulu.

Puis peu après mon retour je me suis mariée avec un homme qui avait 15 ans de plus que moi. J’ai été très malheureuse. Il jouait aux courses, mais je l’ignorais. Je n’ai jamais voulu le dire à mes beaux parents que j’aimais beaucoup lorsque j’ai demandé le divorce. Mon mari a tout englouti de l’héritage de mes parents, il avait même une fois, sans me le dire, gagé le seul bijou que j’avais reçu de ma mère : un solitaire.

J’ai mis au monde un petit garçon qui est mort à 2deux mois et demi après sa naissance d’une encéphalite, il avait la diarrhée verte.*

Par la suite j’ai eu deux filles, l’une née en 1949 l’autre en 1953. La première a épousé un juif d’Afrique du Nord. J’ai trois petits-enfants et deux arrières petites filles. L’une est journalistes au Maroc, la seconde est professeur de français en Irlande à Dublin, elle a épousé un catholique et a une petite fille de 5 ans. L’autre fille malheureusement est devenue communiste en 1968, je ne la vois plus.

.Quelle est la personne, le mot, la phrase qui vous a fait le plus tenir durant toute votre vie ?

Mon père. ! Je remercie mon père, j’ai eu beaucoup de mauvais dans ma vie, mais tout le bon vient de mon père, pourtant nous ne parlions pas.

En fait mon père était Lithuanien. Ses parents étaient venus en France et sa mère a eu 4 enfants..Ils sont arrivés en 1924. Mon père, après ses études  s’est installé comme chirurgien-dentiste à Rouen, il avait un très beau cabinet. Il s’intéressait à tout. Il adorait le jardinage, il faisait des recherches sur les fleurs, il avait une collection de timbres, il adorait la photo et avait un laboratoire privé. Il travaillait comme un fou, Maman était en admiration devant son mari, c’était un couple qui s’entendait parfaitement.

*NDLR : un grand moment d’intense émotion nous saisit tous lorsque Madame HOLSTEIN évoque ce souvenir

Je n’ai jamais entendu de disputes entre eux. Ils avaient une passion commune : la haute montagne. Ils partaient ensemble à Zerlmatt.

Comment considérez-vous votre vie aujourd’hui ?

C’est la fin. Ma vie aujourd’hui, c’est mes petits-enfants.

J’ai eu plusieurs tranches de vie : Une enfance merveilleuse, je ne me rendais compte de rien. Puis une vie coupée, dramatique. J’ai adoré mon mari, mais il jouait et m’a trahie.

Quand j’ai divorcé j’ai élevé mes deux filles seules, comme je n’avais pas de diplôme, j’ai exercé le seul métier possible qui était d’ailleurs celui de mon mari : j’ai été représentante en vêtements d’enfants de luxe et ça a très bien marché (la marque ERNA) ; j’avais 40 ans, Catherine avait 14 ans. Elle allait voir de temps à autre son père et la petite restait avec moi.

J’ai espéré refaire ma vie, cela ne s’est pas fait.

Quel est le message que vous voulez transmettre aux jeunes générations ?

Je n’ai pas de haine. Je fais toujours la différence entre les Nazis et les Allemands.

Que serais-je devenue si j’étais restée petite-fille ?

La phrase que je veux transmettre est : l’amour des autres, l’amour de la vie. J’ai lutté pour avoir des bons moments.

Et le mot pardon ?  Il n’y a pas de pardon.

Et Dieu ? Il existe.

 Vous croyez en Dieu, mais vous ne donnez pas le pardon ?

Lui peut pardonner mais pas moi.

Quelles sont vos peurs et qu’est-ce qui vous révolte ?

J’ai été agressée plusieurs fois. On m’a cassé les jambes, le bras. J’ai été hospitalisée pendant 3 mois à cause de malfrats qui m’ont volés le sac dans ma résidence. Mais je continue à sortir le soir. Je veux  être plus forte qu’eux.

Conclusion.

 Madame Holstein depuis plusieurs années, va dans les lycées et collèges de la région d’Antibes et de la région rouennaise depuis que Serge Klarsfeld le lui a demandé. Elle veut témoigner et transmettre ce qu’elle a vécu. C’est à la fois un devoir de mémoire et un  besoin de dire.
Personne volontaire et courageuse , généreuse et  ouverte au monde. elle représente un idéal de femme respectable, admirable.

Le mercredi 21 janvier 2014- Vision. Cet angelot de blancheur immaculée qui traverse en dansant presque la pelouse est cette petite fille qui pleurait sur le bord du quai. La vision  est fixée à tout jamais dans le temps et je vois l’enfant  cachée,  derrière une femme qui la contemple. Cette femme est-elle Denise Holstein  ou une autre personne ?

Commentaires sur le tableau

Le tableau représente le moment intense  de la rencontre entre Denise Holstein et cette petite fille qui pleure sur le bord du quai. Elle  n’a pu la sauver et elle y pense encore. Les mains tentent  de se rejoindre, en vain. Les rails de chemin de fer traversent le tableau dans un noir profond. L’oiseau blanc de l’espoir vient du ciel pour prendre l’enfant sous ses ailes.

Capture d’écran 2015-07-07 à 17.30.11

Le jour de la présentation

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