Henriette Cohen

2013 - 12 - 27 - Alain Husson-Dumoutier - _MG_7041« Le message de l’étoile »

 

Quand Henriette Cohen a été arrêtée à eyguieres, près de Marseille elle était déjà maman de deux petites filles. On lui a demandé d’aller les chercher mais elle a reçu un message de l’étoile « Va-y seule » lui dit-elle. elle partit seule. Le tableau décrit les rails, l’étoile de David et l’ensemble du message qui lui a été délivré. Les 7 flammes couronnant le tableau sont ses sept enfants. elle est maintenant mère, grand-mère et arrière grand-mère.

120x90cm

Huile sur bois, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz

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Huile sur bois, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz

Huile sur bois, Pigments purs, Sables des plages du débarquement, Terre d’Auschwitz

Capture d’écran 2015-07-19 à 20.49.28Henriette Cohen Présentation

 

NĂ©e le 17 Aout 1917 Ă  Marseille.

Arrêtée avec sa belle-mère à Eyguieres, près de Marseille, le 21 mai 1944, le jour de la fête des mères, alors qu’elle venait d’accoucher.

Elle est transférée à Drancy, puis elle part à Auschwitz le 30 Juin 1944 par le convoi n°76 (le 6 Juin 1944, le camp de Drancy se réjouissait du débarquement Allié…). Sa belle mère est immédiatement gazée.

Elle porte le numéro A-8546

Libérée par les Anglais à Bergen-Belsen.

Quand vous êtes-vous sentie libre ?

Je ne me suis jamais sentie libre, car j’étais tellement malade, trop malade, trop démunie.

La seule consolation que j’ai eue quand les Anglais sont venus libérer le camp de Bergen Belsen, c’est de voir les kapos et les Blokovas aller brûler les cadavres, c’était une sorte de revanche.

J’ai eu des cauchemars longtemps, je n’en ai plus maintenant, je me sens libre maintenant. Mais pendant 40 ans, je me suis tue. Mes enfants n’ont jamais su que j’avais été déportée.

C’est une de mes filles née en 1946 qui en allant à l’école a appris par sa maitresse  que j’avais été déportée. La maitresse a dit : « Les enfants, vous savez que vous avez dans la classe une petite fille dont la Maman a été déportée ? » et c’est ainsi que ma fille de 8 ans a appris que j’étais rescapée des camps.

Jamais il ne m’avait demandé pourquoi j’avais un numéro inscrit sur mon bras gauche.

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NDLR/ le numéro est  : A-8541.

En fait, je crois que je me suis sentie libre quand mes enfants sont nés quand je suis revenue. Ma première fille Monique était  née en 1941 (présente à l’entretien), ma seconde est née en 1943 (elle avait 14 mois quand j’ai été arrêtée, puis en revenant en 1946, un an après mon retour est née ma troisième fille.

Quand j’ai voulu la nourrir moi même elle avait des déficiences et le médecin m’a dit n’avoir jamais vu un enfant avec de telles déficiences.

Puis en 1948 est née ma quatrième fille, puis nous avons eu deux garçons.

Au total j’ai eu 6 enfants, en fait 7, car un petit garçon est mort avant que naisse ma fille Monique , c’était en 1940.

Qu’avez-vous fait la première année ?

D’abord j’ai eu la chance de retrouver mon mari et mes enfants et puis j’ai fait un enfant.

Mon mari qui avait crée une société de parfumerie « Corania » il a alors développé son entreprise. Il a beaucoup travaillé et son entreprise a même obtenu l’Oscar de l’exportation. Ce sont mes enfants qui ont pris la suite.

Mais il faut que je vous dise ce qui c’est passé d’abord :

Arrestation.

« J’étais mariée, j’avais 25 ans et j’avais deux enfants déjà, deux petites filles : une de 3 ans et une  de 14 mois.

J’ai été arrêté à Eyguières qui est un petit village pas loin de Marseille où mes beaux-parents habitaient.

Mon beau père Ă©tait très connu dans le village et qui avait l’accent provençal avait une forte personnalitĂ©. C’était un Cohen et c’était un juif comtadin ,  c’est-Ă -dire un juif du Pape. Il avait Ă©tĂ© arrĂŞtĂ© en janvier 1943 mais s’était Ă©chappĂ© en sautant du train. Ma belle sĹ“ur et ma belle-mère avaient  Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©es en mĂŞme temps que mon beau père, et  elles Ă©taient allĂ©es aux Baumettes, mais par l’intermĂ©diaire d’un ami avaient  Ă©tĂ© libĂ©rĂ©es.

Moi je venais d’accoucher le 11 janvier 1944 et le 23 janvier je sortais de clinique. J’habitais Marseille.

Nous nous sommes donc sauvés à Ayguillères avec mon mari et mes deux bébés et pour échapper d’avantage, nous avons loué une petite ferme éloignée de ce petit village.

En fait quand j’ai été arrêtée  le jour de la fête des mères le 21 mai  par la Gestapo française avec ma belle-mère. Nous étions en ville et  j’ai pu voir l’homme qui nous avait déménagés, parler avec les 3 jeunes français  qui nous ont  arrêtées. Ils touchaient 50 francs par personne arrêtée. J’étais en pleurs et c’est  ma belle-mère  qui m’a remonté le moral. Elle me disait c’est une simple vérification de papiers.

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Eyguières

Je ne sais pas pourquoi, mais quand j’ai été arrêtée mon mari et mes enfants étaient dans la ferme, J’ai eu envie de les rejoindre, mais je me suis retenue et au moment où brutalement j’ai voulu aller les retrouver, je me suis cognée contre une pierre, je suis tombée. J’ai pris la décision de ne pas aller les rejoindre. Je crois que c’est le doigt du destin.

Mon  beau-père avait été à nouveau  arrêté car il faisait des photos de faux papiers pour les résistants. Mes beaux parenrs sont tous deux  ils sont tous deux morts dans les camps.

Le premier soir de notre arrestation, on a dormi à « l’hôtel de la Bonne Espérance » à Mirabeau, tout le monde dans la même chambre, les trois geôliers, ma belle mère et moi. Le lendemain nous sommes allés rue de Paradis.

Quand j’avais interrogé les trois jeunes gens sur notre sort, ils m’avaient dit que j’allais servir de fille de joie pour les soldats en Russie. Et quand nous sommes arrivés rue de Paradis, ils m’ont mise au début dans la prison des hommes et j’ai cru que l’horreur allait commencer, mais c’était une erreur de leur part….

Nous sommes restés deux à trois jours dans la prison des Beaumettes enfermées avec plusieurs femmes, j’ai donné ma bague de fiançailles à une femme en lui remettant une lettre pour mon mari.

Eh bien, j’ai retrouvé à mon retour ma bague et mon mari a reçu la lettre. »

Le départ :

La gare St Charles avait été bombardée, nous sommes parties de la gare d’Arenc pour Drancy dans un wagon de 3ème classe. Nous sommes restées un mois à Drancy, j’ai même pu voir une maman s’occuper de son bébé et je l’ai enviée, je ne pouvais pas savoir le sort qui lui était réservé !

Et le 6 juin 1944, nous avons appris le débarquement des alliés en Normandie, on s’est tous embrassés, c’était la liesse, la guerre était pratiquement finie, on allait être libérés !!

En fait nous sommes partis le 30 juin 1944, mon convoi était le numéro 76, alors que les alliés se rapprochaient de Paris

On nous a donné un pain  qui était d’ailleurs moisi à l’intérieur, du saucisson, mais  rien à boire.

Nous avons été entassés à 60 dans un wagon, on ne pouvait même pas s’allonger, on ne pouvait que s’asseoir et nous avions un grand seau comme tinette. Il y avait des bébés, des vieilles personnes, ce fut 4 jours d’enfer. On ne pouvait pas imaginer pire.

J’ai rencontré à cette occasion, une famille de Versaillais très gentils.

Nous sommes arrivés le 4 juillet de nuit à Auschwitz et là, des lumières partout, des chiens, des hurlements des Allemands qui nous font descendre.

Je ne sais pas pourquoi, je suis sortie avec mon pain et là on me l’a pris alors qu’il était moisi. Les gens se sont précipités dessus

Le train avait 1200 personnes dans les wagons, seules 100 personnes ont été retenues pour travailler. Le reste a été gazé immédiatement.

Birkenau

Quand nous sommes descendues du train, ma belle-mère et moi nous avons été séparées. J’ai voulu la rejoindre mais on m’en a empêché. Elle est partie avec ceux qui ont été gazés immédiatement. Et on a entendu « Donnez vos enfants aux vieux », car ils savaient que les Allemands ne gardaient aucun enfant.  Ils les gazaient tout de suite avec les personnes âgées Ainsi ils voulaient sauver les mères.

On m’a mise toute nue, on m’a tondue alors que j’avais de longs cheveux, on a inscrit un numéro sur mon bras A-8541

NDLR : le chiffre est encore très visible sur le bras de Madame Cohen.

On m’a mise dans une vraie douche, puis on m’a jeté des vêtements au hasard, ma jupe était attachée  avec une ficelle, mon corsage était vieux et  je ne sais pas pourquoi on m’a inscrit une croix sur le dos à même la peau avec de la peinture rouge  très chaude qui m’a brulée et pendant plusieurs jours j’ai eu des traces et des cloques.

Et vous ne  savez  pas à quoi tient la vie !  il y avait une femme qui a eu des chaussures trop petites, au bout de quelques temps elle avait une ampoule, elle claudiquait, un Allemand l’a vue et elle a été aussitôt gazée.

J’ai été inscrite dans un « ost kommando ». Il s’agissait de faire du terrassement sur les routes. On a fait une route entière sur les marécages. Il y avait plusieurs kommandos, certains allaient au « Canada » et là ils triaient les vêtements et ils trouvaient parfois dans les doublures des diamants.

Pour moi, c’était différent, même en été le matin  il faisait très froid et à midi très chaud. On maniait la pelle et la pioche. J’ai été de juillet à janvier dans « lost kommando. » Pour nous rendre au travail, on faisait 8 kilomètres à pied dans la neige souvent, mais en octobre j’ai eu la gale. Pendant un mois j’ai été dans le bâtiment des galeuses.

Pendant cette période, j’ai été avec une amie de Marseille,  Estelle, elle avait deux enfants elle aussi, nous sommes restées l’une à côté de l’autre tout le temps. On faisait des projets ensemble, on imaginait des recettes. On n’avait rien à manger, un morceau de pain, comme nous n’avions pas de poche et parce que les Russes nous les prenaient dans les mains, on les tenait serrés contre nous. Le matin le café était de l’eau.

Depuis, je ne peux pas jeter un morceau de pain. J’aurai honte. Je suis restée à lost Kommando jusqu’au 1er janvier et on est parties alors en train  avec mon amie Estelle, à Bergen-Belsen.

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Bergen Belsen.

Je n’ai pas fait la marche de la mort. Nous sommes  parties en train

On pensait que se serait mieux Bergen Belsen, parce que l’on savait que ce n’était pas un camp d’extermination et que l’on ne serait pas gazée.

En fait cela a été pire, on ne travaillait plus, on ne faisait rien, on n’avait rien à manger. Nos cheveux avaient repoussé et on était pleines de poux, on s’épouillait toute la journée dans le couloir et on a eu le typhus, c’est à dire la dysenterie.

C’était horrible.

J’ai vue à cette époque des monceaux de cadavres, des étages de cadavres. On les mettait les uns sur les autres et les Allemands les enfouissaient.

J’étais dans le même bloc qu’Anne Franck, en même temps que Simone Weil. Nous avons été libérées le 15 avril par les Anglais mais  mon amie Estelle est morte le 11 avril.

Je n’aurais pas pu tenir 2 jours de plus, je savais que c’était la fin et je pensais que personne ne saurait comment j’étais morte.

Quand les Anglais nous ont libérés, ils ont été malades de nous voir, ils nous on nettoyées au DDT. Nous étions des morts vivants et ils nous ont donnés à manger du Corned-Beef avec du pain. Beaucoup sont morts d’avoir trop mangé.

Le retour

En fait je suis partie directement de Bergen Belsen pour Paris et je suis arrivée à l’hôtel Lutetia et je n’y suis restée qu’une seule journée, et là j’ai eu honte car j’étais dans un beau lit avec de beaux draps blancs, chose que je n’avais pas vu depuis longtemps et là j’ai été malade, j’ai eu la diarrhée.

Je suis revenue à Marseille avec des prisonniers de guerre qui , en nous voyant n’osaient pas se plaindre.

Mon mari avait vu sur la liste Henriette Cohen, mais j’avais une homonyme, donc il ne savait pas si c’était moi ou l’autre personne qui était sauvée.

Et quand je suis arrivée à la gare St Charles la première personne que j’ai vue était mon mari, il avait un brassard, il faisait partie du service d’ordre.

Toute ma famille Ă©tait lĂ  avec mes enfants.

Malheureusement je me souviendrai toujours du regard de ma fille de 4 ans quand elle m’a vue, lourd de reproches. Elle ne savait rien de ce qui c’était passé pour moi. On lui avait dit que j’étais partie en voyage…

Après tout ce que vous avez vécu  que pensez-vous de votre vie aujourd’hui ?

J’ai eu une très remplie avec un début très mauvais. J’ai manqué mourir à 20 ans après l’accouchement de mon premier enfant, il n’y avait pas d’antibiotiques  j’étais très malade et je suis restée  en outre un mois avec une sciatique.

Puis lorsque nous nous sommes mariés nous n’avions pas d’argent, je faisais des robes et des tricots, mais j’étais jeune et j’avais l’amour.

Et après, chaque enfant a amené sa chance et maintenant je suis heureuse.

J’ai toute la famille, 28 arrières petits enfants dont l’ainé à 15 ans, 13 petits enfants, 6 enfants..Une très belle famille et tout le monde s’aime.

Ndlr :Sur des photos on voit Madame Cohen entourés de tous ses enfants et ses petits enfants  radieux et souriants ..

C’est cela qui est important.

Et Dieu ?

J’ai une fille, ma troisième, qui est très traditionnaliste, qui vit à Jérusalem, elle est très pratiquante, elle porte la perruque. Mais moi je suis les fêtes : Pessah, Kippour et je crois en Dieu, j’ai la foi. Même dans les pires moments, je n’ai jamais perdu la foi.

Quelle est votre position par rapport au pardon ?

Pour les jeunes allemands, je n’y pense pas, mais pour les autres, je ne peux pas pardonner.

Quelle est votre position par rapport à Israël aujourd’hui  ?

C’est un pays que j’adore, une de mes filles s’y trouve et j’y vais souvent. Et mon mari m’avait dit que si je n’étais pas revenue des camps, il serait parti s’installer en Israël avec les enfants.

Quel est le message que vous voulez transmettre aux jeunes générations ?

L’union. L’union chez les jeunes, pas de racisme. Il faut qu’ils se rendent compte, qu’ils prennent conscience, mais l’union est la plus importante

Conclusion.

Elle ne fait absolument pas son âge et l’on est surpris  de son charme exprimé essentiellement par son regard  perçant (elle lit sans lunettes) et son sourire. Tous ses souvenirs sont précis et elle sait  par exemple très bien où sont rangées ses affaires. On sent en elle une certaine autorité qu’elle cache derrière une affabilité extrême. On la sent entourée d’amour et de tendresse. Elle vit par sa famille et pour sa famille.

Lors de l’entretien sa fille Monique était présente et l’harmonie qui  régnait au cours de la conversation, n’était que l’expression de l’amour qui règne dans cette famille.

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