Max Hecht
« Vigilance »
Le tableau reprĂ©sente un moment particulier de lâexistence de cet homme, qui faillit ĂȘtre pendu Ă un arbre dans la cour de lâendroit oĂč il travaillait.
Le ss qui devait le pendre lui a fait grùce, car son fils avait été tué quelques jours auparavant à stalingrad.
Cet arbre est presque mort, il est nouĂ©. Mais la vie ne demande quâĂ sortir de ses branches. Il est enfermĂ© dans une fenĂȘtre, la fenĂȘtre de la vie.
Max Hecht a souhaitĂ© que le mort « Vigilance » figure en bas de lâoeuvre.
120x90cm
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre dâAuschwitz
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre dâAuschwitz
Huile sur toile, Pigments purs, Sables des plages du dĂ©barquement, Terre dâAuschwitz
Max Hecht Présentation
NĂ© Ă Lodz, en Pologne le 10 Juin 1928
ArrĂȘtĂ© Ă Lodz en septembre 1943. Il a Ă©tĂ© envoyĂ© Ă Auschwitz, puis dans  diffĂ©rents camps le dernier Ă©tant Ludwighurst.
Libéré par les troupes Américaines, il pÚset 35kgs.
Quand vous ĂȘtes vous senti libre ?
« Dans le camp je suis arrivĂ© avec ma famille. Ma mĂšre a tout de suite disparu Ă notre arrivĂ©e ainsi que mon pĂšre qui Ă©tait dĂ©jĂ malade. Quant Ă ma sĆur elle est morte plus tard Ă Bergen Belsen.
JâĂ©tais toujours avec mon frĂšre qui avait deux ans de plus que moi mais en fait, câĂ©tait moi lâainĂ©. JâĂ©tais prĂ©occupĂ© par sa santĂ© car il était malade et trĂšs pĂąle. Une fois jâai trouvĂ© une vieille lame de rasoir et jâai grattĂ© le visage de mon frĂšre qui Ă©tait ainsi tout rouge⊠je savais que les SS Ă©pargnaient ceux qui paraissaient en bonne santĂ© et câĂ©tait un moyen dâĂ©viter dâĂȘtre pris pour la chambre Ă gaz.
Nous avons Ă©tĂ© dâabord Ă Auschwitz-Birkenau 3 mois, puis dans une usine Ă Braunschweig oĂč jâai Ă©tĂ© ouvrier fraiseur, puis Ă Wattenstadt , Ă Lavensbruck et enfin Ă Ludwig Hurst Ă la frontiĂšre hollandaise jusquâĂ la libĂ©ration.
 Nous avons Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s mais nous nâavons pas rĂ©agi. Nous avons Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s, par un soldat juif amĂ©ricain. Il ne croyait pas ce quâil voyait. Il y avait des montagnes de morts.
Je pense malgrĂ© tout que jâai eu plusieurs fois de la chance, par exemple Ă Braunschweig,
Un jour je mâĂ©tais assoupi enfermĂ© dans un placard dans lâusine, au chaud et je nâĂ©tais pas Ă lâappel qui Ă©tait Ă 6heures du matin et je me suis rĂ©veillĂ© Ă 9 heures. Le SS qui mâa dĂ©couvert mâa dit quâil me pendrait Ă lâarbre au centre de la cour et il mâa emmenĂ©. Sur le trajet, je lui ai glissĂ© « vous avez un enfant ? » il ne mâa pas rĂ©pondu puis mâa dit « Tais-toi », plus tard en avançant il mâa dit « Mon fils est mort Ă Stalingrad » et puis il mâa laissĂ©Â ; il est parti. Jâai eu ainsi la vie sauve.
 Auparavant jâai Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© dans le ghetto par des Allemands et jâai dit que je travaillais pour eux et comme ils me laissaient partir jâai dit que ma mĂšre qui Ă©tait arrĂȘtĂ©e aussi Ă©tait avec moi et ils nous ont laissĂ© partir tous les deux.
 A Wattenstadt , une autre fois encore le kapo nous a provoquĂ© en nous demandant si nous Ă©tions prĂȘts Ă vider 10 tonnes de charbon en boulets  contre 50 litres de soupe. Nous Ă©tions deux. Nous les avons dĂ©chargĂ©s et on a eu les 50 litres de soupe. On a tout bu Ă deux et jâen ai apportĂ© Ă mon frĂšre. La faim nous faisait tenir.
AprÚs la libération
Les soldats amĂ©ricains nous ont trouvĂ© dans une maison abandonnĂ©e et nous ont amenĂ© Ă lâhĂŽpital. Nous avons Ă©tĂ© soignĂ©s avec mon frĂšre mais nous nous sommes sauvĂ©s de lâhĂŽpital amĂ©ricain et nous avons eu tort car nous aurions étĂ© bien soignĂ©s. A la libĂ©ration, je faisais 35 kgs.
 Avec mon frĂšre nous sommes allĂ©s Ă Lodz pour voir si nous avions encore des parents ou des personnes Ă voir mais nous nâavons retrouvĂ© personne. On a mis trois semaines pour aller Ă Lodz. Mon frĂšre Ă©tait encore trĂšs malade. Il avait de la rĂ©tention dâeau
Nous avions un autre frĂšre qui Ă©tait allĂ© en Russie avant la guerre et qui Ă©tait soldat dans lâarmĂ©e rouge. Il avait Ă©tĂ© Ă Stalingrad. Il Ă©tait Ă 40 km de Lodz. Nous lâavons retrouvĂ© et il nous a placĂ©s dans une ferme qui nous a nourris.
Dans cette ferme allemande, les habitants nous ont demandé de rester. Ils savaient que rien ne leur arriverait si nous étions là .
 Il y avait un ancien prisonnier catholique Polonais qui avait un vĂ©lo et un pistolet. Avec son pistolet il a arrĂȘtĂ© un cycliste et sâest ainsi procurĂ© le vĂ©lo. Puis nous sommes allĂ©s dans une ferme et il a demandĂ© que les personnes sur place sortent tous les bijoux et il les a pris. Moi, je nâĂ©tais pas dâaccord mais il mâa dit « AprĂšs tout ce quâils tâont fait ? Tu ne trouves pas cela normal ? » Jâavais peur car câĂ©tait du vol. JâĂ©tais jeune et naĂŻf.
Puis nous avons dĂ©cidĂ© dâaller en France. Nous ne voulions pas rester en Pologne qui Ă©tait trop antisĂ©mite Nous sommes passĂ©s illĂ©galement par le train. JâĂ©tais en uniforme amĂ©ricain, mon frĂšre qui avait Ă©tĂ© avec moi dans les camps Ă©tait dĂ©guisĂ© en soldat anglais et mon autre frĂšre que nous avions retrouvĂ© en soldat russe.
Nous avions de la famille en France 6 oncles et tantes Ă Paris.
Et votre frÚre ?
Mon frÚre a récupéré. Il vit à Montpellier
La premiĂšre annĂ©e de retour quâavez-vous fait ?
Un oncle mâa appris le mĂ©tier de tailleur mĂ©canicien. Il avait perdu son fils et sa femme dans une rafle. Jâai essayĂ© dâaller Ă lâEcole Berlitz mais câĂ©tait trop compliquĂ© pour moi.
Quelle a été alors la grande rencontre de votre vie ?
Ce fut ma femme qui est encore lĂ Ă cotĂ© de moi aujourdâhui encore aprĂšs 52 ans de vie commune. Nous nous sommes rencontrĂ©s en 1948.
Madame Hecht prend alors la parole :
« Je mâĂ©tais jurĂ©e Ă 14 ans dâĂ©pouser un rescapĂ© de lâextermination. A la libĂ©ration nous allions dans des bals rĂ©servĂ©s aux juifs mais aussi tout le monde pouvait venir et nous nous sommes rencontrĂ©s Max et moi et nous nous sommes mariĂ©s.
 Nous avons eu deux enfants : un garçon en 1951 et une fille en 1957 qui a elle-mĂȘme eu deux enfants. Elle vit en Italie. Nous avons une petite fille Elsa qui termine Sciences Po Ă 22 ans et vient de finir son mĂ©moire sur Rimbaud.
Dans cette existence quels sont les éléments qui vous ont marqué ?
 Il a fallu nous battre avec nos propres armes. Je ne suis pas allĂ©e Ă lâĂ©cole. Mais nous avons tout appris par nous-mĂȘmes. Notamment le français».
 Monsieur Hecht reprend : »Nous sommes arrivĂ©s Ă Nice en 1958. Jusquâen 1986 jâai eu un magasin de confection hommes et Femmes Ă Nice. Puis en 1986, Ă ma retraite, je suis devenu marchand de tableaux. Jâallais dans les salles de ventes et je me suis formĂ© moi-mĂȘme dans les musĂ©es. Cela a commencĂ© quand jâai vu une fois dans une salle des ventes ce meuble (il montre un meuble du 18Ăšme siĂšcle en marquetterie) Il Ă©tait noir recouvert de saletĂ© et jâai senti quâil Ă©tait de qualitĂ©. Quand il a Ă©tĂ© nettoyĂ© une signature dâun Ă©bĂ©niste cĂ©lĂšbre est apparue.
Madame Hecht suit alors.
« Vous voyez ce tableau » : elle montre un grand tableau de Tobiasse. Nous lâavons achetĂ© ensemble. Nous Ă©tions chez Tobiasse et regardions ensemble cette Ćuvre qui me fascinait. Or mon mari avait gardĂ© de lâargent pour mâacheter mon premier bijou. CâĂ©tait exactement le montant du prix du tableau. Et nous avons achetĂ© le tableau Ă la place du bijou. »
Les justes
« Mais surtout je voudrais dire», Madame Hecht poursuit et son mari ne lâinterrompt pas.
« Je voudrais dire toute lâadmiration et lâaffection que je porte Ă ces personnes qui nous ont accueillis et protĂ©gĂ©s au pĂ©ril de leur vie durant la guerre. Vous voyez cette photo : elle montre une photo oĂč une vieille dame aux cheveux  blancs est dans un lit et Ă cotĂ© dâelle Madame Hecht se tient assise. Les larmes aux yeux.
Cette dame nous a accueillis et voyez vous nous avons gardé des relations avec elle et toute sa famille. Les Fortin et les Bulloux .
 La mĂ©moire perdure car par exemple les enfants et les petits enfants restent en contact avec nous. Nous les voyons et une vĂ©ritable amitiĂ© nous lie. Pour le 60Ăšme anniversaire dâAuschwitz ils ont envoyĂ© une lettre⊠et ce sont de trĂšs fidĂšles catholiques que nous aimons.
Vous voyez la fameuse rafle du 16 juillet 1942 Ă Paris oĂč il faisait si chaud, des voisins avaient prĂ©venu ma mĂšre qui nây croyait pas. Mon pĂšre Ă©tait dĂ©jĂ parti. Et heureusement quâune voisine a gardĂ© mon frĂšre et moi dans une piĂšce isolĂ©e au pĂ©ril de sa vie (les allemands condamnaient tous ceux qui protĂ©geaient les juifs) parce que nous aurions Ă©tĂ© pris dans la rafle. Ceux qui venaient nous arrĂȘter savaient tout sur nous, qui nous Ă©tions ? Quelle apparence nous avions ? Quel ùge nous avions, etc ?⊠Nous Ă©tions prĂšs du gymnase Japy et on entendait les enfants pleurer et crier. CâĂ©tait horrible. Noua avons Ă©tĂ© cachĂ©s sous un cosy et câest depuis que je suis asthmatique.
 Ma mĂšre a Ă©tĂ© sauvĂ©e aussi, elle sâĂ©tait cachĂ©e dans un grenier, et nous avons Ă©tĂ© alors rejoindre mon pĂšre Ă Brou dans lâEure et Loir. Il avait trouvĂ© un passeur qui a Ă©tĂ© honnĂȘte car il aurait pu toucher la prime offerte par les Allemands. Ainsi il aurait gagnĂ© le prix du passage plus la prime.
On a vĂ©cu Ă quatre dans 10m2. Au dessus une femme faisait la fiesta avec les allemands et savait quâon Ă©tait en dessous. Elle ne nous a jamais dĂ©noncĂ©s.
Max et Antoinette Hecht le 24 février 2014 au centre Elie Wieze de Nice
Quel est le message que vous souhaitez transmettre aux générations futures ?
Je pense que lâhomme est plus fort que lâanimal. A Birkenau les SS nous faisaient trainer dans la boue froide et glaciale dans des conditions Ă©pouvantables et nous avons tenu Ă force de volontĂ©.
Il faut ĂȘtre vigilant, avoir lâĆil ouvert.
Madame Hecht reprend Ă la suite
Soyez tolĂ©rant et ayez du respect.Â
Vous voyez poursuit-elle je ne comprends pas ces jeunes qui mĂ©prisent la France. Mon fils qui a vĂ©cu Ă lâĂ©tranger dit que la France est le meilleur pays du monde.
Beaucoup de gens nous ont protĂ©gĂ©s et je les remercie. Quand on insulte la France jâai mal pour la France. Il faut avoir le respect de la nation.
 Pourtant Il arrive parfois quâil y ait des erreurs. Quand en 1974 mon mari a voulu acquĂ©rir la nationalitĂ© française on a voulu lui faire faire une dictĂ©e on lui a demandĂ© oĂč il avait fait son service militaire ⊠Il a rĂ©pondu dans les camps de concentrationâŠ.
Conclusion
Cet entretien a Ă©tĂ© difficile car Monsieur Hecht est en dĂ©finitive assez secret. Sa prudence montre la souffrance qui nâa pas pu ĂȘtre Ă©vacuĂ©e. Lâentretien nâa pu se rĂ©aliser dans une continuitĂ© logique. Les souvenirs venant par vagues successives emmĂȘlĂ©es. Et pourtant le contenu douloureux apparaĂźt entre les lignes sous une apparence paisible.
AprÚs une premiÚre lecture du compte rendu je reçois avec les corrections qui ont été apportées le mot suivant :
Cher Monsieur,
Notre fils Marc, notre fille Catherine, qui a deux filles : Elsa et InÚs la plus jeune,  sont tous consciemment inconsciemment concernés, atteints par notre passé.
Ils sont notre raison de vivre.
Merci Mille fois
SignĂ© A. HechtÂ
Max et Antoinette Hecht le 24 février 2014 au centre Elie Wieze de Nice
Le jour oĂč son tableau est prĂ©sentĂ© Ă Max Hecht Ă Nice
[youtube]http://youtu.be/sgbDerPLEac[/youtube]